Inspirée et passionnée, la jeune auteure Hadjer Kouidri alimente l'imagination du lecteur à travers son dernier roman Nawrass Bacha, paru en 2012. Elle revisite l'histoire de l'Algérie à travers l'époque ottomane. El Watan Week-end dévoile les mécanismes de cette écriture audacieuse. -Nawrass Bacha est d'abord l'histoire d'une femme vivant à l'époque ottomane. Une période qui vous inspire ? L'histoire remonte à l'époque du dey d'Alger, Mustapha Pacha, entre 1798 jusqu'à 1805. C'est un roman qui se déroule dans un climat historique particulier. Je ne prétends pas écrire l'histoire, mais je tente de transmettre l'ambiance de l'époque au roman. Je n'ai pas cherché à trouver des témoignages réels de cette période, mais je me suis basée sur des lettres écrites et échangées à cette époque. L'héroïne du roman, Dawia, cette femme arabe vivant dans le Titeri qui avait pris pour époux un Turc. Sa vie va basculer après jusqu'à arriver au pouvoir. A travers Dawia, on redécouvre la période ottomane en Algérie, les rapports des Ottomans avec les Algériens, avec les Méditerranéens… Il n'y a pas de recette toute prête pour les débuts d'un écrivain. Dans mon premier roman Clic, je me suis inspirée de mon propre vécu. J'ai pensé peut-être que le roman est une forme d'autobiographie. Plus tard, j'ai découvert que ce n'était pas vraiment le cas. Mon deuxième roman, Je m'appelle Osonjo, est concentré sur les années 1960 en Algérie. Cela donc est lié au choix de l'écrivain, ce n'est pas une mode. Mes études et mes recherches m'ont conduite vers le roman historique. -Vous faites toujours des recherches avant de passer à l'écriture… Oui, j'en ai besoin. A chaque fois. Car l'écriture pour moi est une douleur réelle. Je n'écris pas un roman d'un seul trait. Au contraire, j'écris très lentement et avec beaucoup de difficultés. Car je suis en quête permanente de nouveauté, de fraîcheur et de simplicité. Vous savez qu'en tant que Maghrébins, nous n'aimons pas trop les phrases creuses, longues. Nous adorons la narration simple, claire et limpide. -La littérature écrite arabe en Algérie se porte-t-elle bien ? Ma première langue est l'arabe. Je l'utilise donc pour mon écriture. Cependant, je dis que chaque roman écrit en arabe doit être traduit en d'autres langues dont le français. Notre génération est ouverte à toutes les langues, elle n'a pas de complexe Nous lisons en arabe, en français, en anglais. Entre nous, il n'y a plus de clivages, comme ce fut le cas par le passé. Je cherche une traduction algérienne à mon roman vers le français. -Quel est «le secret» de la réussite d'un roman ? La réussite d'un roman dépend à mon avis de la maturité de l'auteur. Un livre est aussi le fruit d'un cumul de connaissances et d'expériences de vie, d'un ensemble de réflexions sur le monde, la société. Tout écrivain doit évoluer doucement, ne pas brûler les étapes (…). Je sais que Nawrass Bacha a eu un succès d'estime dans le Monde arabe. Il a été édité par la maison Tawaa, à Londres, et distribué dans les pays arabes par Al Jamal Publishing (Beyrouth). Cela dit, je refuse l'idée que ce qui vient de l'étranger réussit nécessairement. -Ce qui s'écrit actuellement dans le Monde arabe est-il, pour vous, marqué par l'époque, le moment, l'actualité, ou reste-t-il lié à un certain héritage littéraire oriental ? J'avoue qu'il existe de l'opportunisme dans l'écrit littéraire actuel. On tire des histoires à partir des révoltes arabes. Il y a aussi un certain «mondialisme» dans la production romanesque. Un écrivain algérien écrit sur Kaboul ou sur Moscou, par exemple. On pense agir de la sorte pour attirer davantage de lecteurs. Je crois que c'est une erreur. Le mieux est de garder ses spécificités culturelles et civilisationnelles pour intéresser le public. J'ai à l'esprit le romancier turc Orhan Pamuk (Mon nom est rouge, Le château blanc, Neige, etc). Nous pouvons frapper aux portes du monde avec nos propres valeurs, notre «localitude», «mahaliyatouna». Je refuse d'écrire un roman universel éloigné de ma culture, de mon propre univers. -Le jeune romancier algérien écrit-il en toute liberté ? Exprime-t-il tout ce qu'il veut, sans contrainte ? Oui. Je pense qu'il écrit en toute liberté. La limite, à mon avis, ne vient pas forcément du pouvoir politique en place. Elle est liée à notre culture, à notre système d'enseignement et de transmission de connaissances. Je crois que nous devons demander des comptes au système éducatif algérien, à la génération qui nous a précédée et qui a fait une rupture totale avec nous. Il reste que l'écriture est d'abord une expression individuelle. Chacun écrit à sa manière, selon sa sensibilité. Nous ne pouvons pas tous réussir en littérature. Le monde est ainsi fait. -Le roman a-t-il un large public en Algérie ? Nous devons reconnaître qu'il existe réellement des lecteurs du roman, algérien ou étranger. Mais ce public n'est pas assez large comme nous l'aurions voulu, à l'image de ce qui existe en Europe (…). Actuellement, je pense écrire le scénario d'un film. J'ai envie de changer un peu mon mode d'expression. L'écriture romanesque ne me suffit pas. Je m'intéresse de plus en plus au cinéma. C'est un peu mon domaine de spécialité à l'université. Je m'essaie à l'écriture du scénario pour des documentaires depuis plus de deux ans. Je vais tenter le scénario pour des fictions. Après, on verra.