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«Changer les mentalités» : une idée fausse et dangereuse
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Publié dans El Watan le 21 - 01 - 2013

J'ai eu l'occasion d'écrire quelques lignes sur cette problématique qui apparemment nécessite beaucoup plus d'explications. Les discours politiques, les écrits journalistiques et les questions des étudiants et de professeurs lors des séminaires académiques tournent toujours autour d'un thème qui semble faire l'approbation de la majorité. Il est question de changer la mentalité des citoyens pour que l'Algérie réussisse son pari de se redresser et de rejoindre le rang des pays émergents. De nombreux PDG, walis, responsables de départements administratifs, ministériels et même chercheurs universitaires et prestigieux conseillers d'institutions publiques et privées ne jurent que par le changement des mentalités pour améliorer le mode de fonctionnement de nos entreprises et de nos entités publiques.
Heureusement qu'il y a une minorité d'analystes éclairés qui ont compris que «changer les mentalités» est une idée fausse et très dangereuse. Pourquoi ? En premier lieu, si le problème résidait dans les mentalités, les décideurs n'ont donc aucune responsabilité sur les résultats de leurs décisions. Malgré tous les efforts et la pertinence de leurs choix si judicieux, les mentalités des citoyens font déraper leurs projets. Il faut donc les absoudre de toute responsabilité, car malgré leurs compétences et leurs perspicacités ils ne peuvent obtenir des résultats probants. La faute incombe aux mentalités. Nous allons montrer que cette manière de réfléchir est fausse d'un point de vue théorique. Par la suite, nous allons donner des exemples pratiques qui illustrent de fort belle manière que cette manière de voir est loin de la réalité.
La problématique de «changer les mentalités»
En premier lieu, une personne s'interrogerait sur la signification et la méthode. Qu'est-ce que c'est changer les mentalités ? Apparemment, ses adeptes pensent au mode de pensée des personnes. Celles-ci doivent commencer à apprécier le travail, le civisme, l'honnêteté, l'assistance à autrui pour pouvoir les appliquer dans les entreprises et les institutions. Par la suite, les directives des décideurs vont s'appliquer et donner des résultats satisfaisants sur le terrain. Ainsi, l'école et l'environnement global y sont interpellés. Les managers vont donc essayer de communiquer intensément pour renforcer ces qualités. Mais puisque pour le moment ces caractères n'existent pas, alors inutile d'essayer d'obtenir des performances acceptables tant que les «mentalités n'ont pas changé».
En premier lieu, les managers ne sont ni formés ni préparés à «changer les mentalités». En second lieu, les mentalités changent exceptionnellement et très rarement. On réserve ce genre de traitement aux personnes «déséquilibrées». Les psychanalystes et les psychiatres arrivent parfois au prix de grands efforts lents et laborieux à «changer» la personnalité d'un humain pour son propre bien. Il s'agit de corriger un déséquilibre profond. Mais les managers n'ont pas les compétences pour ce faire. Heureusement, ils n'en ont pas besoin. En management, on sait changer les comportements pas les mentalités ; et c'est suffisant. La différence est de taille. Je donne souvent l'exemple chinois à mes étudiants de management.
Après la victoire des communistes chinois, l'une des priorités des dirigeants fut d'améliorer la production agricole pour éviter les famines répétitives. Pour arriver à cette fin, il fut décidé de «changer la mentalité des paysans». Les gardes et les membres du parti communistes chinois devaient lire le Livre rouge de Mao, trente minutes chaque jour, avant le début des travaux. On glorifie le communisme, Mao, la Chine, l'altruisme, l'amour de la patrie, etc. Mais ce «cirque» qui dura trente ans n'a eu aucun impact sur les mentalités ou la production réelle qui stagnait. Après le décès de Mao, Deng Xiaoping interrompit le processus, divisa les lopins de terre et libéra l'initiative paysanne. En cinq ans, la production agricole avait doublé. Mao cherchait à améliorer la production par le «changement des mentalités», Deng Xaoping voulait agir uniquement sur les comportements en mettant en place les conditions minimales de motivation.
Le changement de comportement en opération en Algérie
Mais avons-nous des exemples pour notre pays ? Bien sûr. Ils sont nombreux et on en parle très peu. Je prendrai le cas d'une entreprise publique croulant sous les déficits qui a été privatisée. On accusait les «mentalités» du personnel pour tous ces maux. Les nouveaux dirigeants effectuaient un diagnostic sans complaisance. 65% du personnel étaient affecté à des postes de travail de complaisance (espaces verts, gardiennage, pointeurs…) et étaient mieux rémunérés que la seule équipe de 8h de production qui existait. Des décisions furent prises. Elimination des postes improductifs non nécessaires, valorisation des primes et des salaires pour les équipes de production, recyclage de tout le personnel, transfert du personnel improductif aux chaînes de production avec une meilleure planification de la maintenance. On est passé à trois brigades de production (24h sur 24).
La production a plus que triplé. On a modernisé le management : plus de communication, de concertation, d'évaluation de la contribution de chacun, de rémunération en fonction du mérite, etc. Soudain, les travailleurs algériens qui étaient «fainéants à cause de leur mentalité» sont devenus des éléments motivés, sérieux, rigoureux et s'améliorent de jour en jour. Ils ont vécu ce qui arrivent aux algériens qui partent à l'étranger : recyclés et injectés dans un nouveau système, ils deviennent des éléments performants. Nous avons là une fort belle leçon connue des spécialistes en management : parler de changer les mentalités est un non-sens. On sait changer les comportements en mettant en place les modes de management qu'il faut : respect, équité, formation, évaluation des performances, communication et le reste.
Si nous comptons sur les changements de mentalité pour améliorer nos entreprises et nos institutions non économiques (ministères, wilayas, hôpitaux, universités, administrations), nous sommes partis pour plusieurs siècles de déception. Mais si on raisonnait en termes de changement des comportements : là nous avons des outils pour avoir des résultats relativement rapidement. Alors, la prochaine fois que vous entendez quelqu'un parler de changement des mentalités en Algérie pour nous améliorer, sachez une chose : «Il ne sait pas de quoi il parle».


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