L'annonce avant-hier par le Premier ministre Abdelmalek Sellal de la présence de 11 Tunisiens parmi les assaillants du site d'In Amenas, au sud de l'Algérie, a enfoncé la Tunisie davantage dans la consternation face au phénomène djihadiste rampant. Tunis. De notre correspondant
Il suffit de suivre les propos de l'académicien Aleya Allani, expert de la question des djihadistes en Afrique du Nord, pour comprendre l'ampleur du phénomène en Tunisie. Il y a plus de 500 djihadistes tunisiens en Syrie, selon Allani. «La présence d'un tel nombre de Tunisiens dans les réseaux djihadistes internationaux se justifie par les libertés accordées aux prédicateurs extrémistes en Tunisie. Personne ne s'oppose à leurs prêches incendiaires appelant au djihad à l'adresse de jeunes dont la personnalité n'a pas été encore édifiée, ce qui facilite l'opération de lavage de cerveaux dont ils font l'objet», explique-t-il. Par ailleurs, l'académicien regrette l'absence de toute politique claire en matière de religion. «L'Etat n'a pas de mainmise sur les mosquées. Des centaines sont encore dominées par les djihadistes, en l'absence d'une stratégie claire pour les récupérer», regrette l'académicien qui vient de rentrer du Mali, où il effectuait ses recherches sur les groupes djihadistes. Aleya Allani déplore l'absence de toute stratégie de l'Etat dans le domaine religieux afin de défendre un islam modéré et encercler les foyers d'extrémisme. Pour lui, la stratégie sécuritaire ne saurait réussir à elle seule. Il s'agit, selon Allani, d'accompagner le sécuritaire d'une politique religieuse basée sur la propagande en faveur d'une lecture rationnelle de l'islam malékite. Allani rappelle la stratégie adoptée en Algérie, notamment le projet de réconciliation nationale, qui a permis de réhabiliter un bon pourcentage des djihadistes et de les réintégrer dans la vie sociale. Certains éléments sont, certes, restés dans les montagnes, mais, le gros des troupes s'est repenti et la société algérienne a vraiment dépassé la crise, a-t-il constaté. Débat national La politique du gouvernement oscille entre l'encouragement et la lutte contre le phénomène djihadiste. «Ce sont nos fils. Nous ne les avons pas ramenés de Mercure», avait dit, au départ, Rached Ghannouchi, l'homme fort d'Ennahda et de la Tunisie. Il s'est rétracté, ces derniers jours, pour dire que «ceux qui dérapent doivent être punis suivant la loi». Ce flou politique se traduit dans la diplomatie et la position tunisienne par rapport à l'intervention française au Mali. Ladite position oscille entre le refus et la compréhension, selon le cadre de la question. Il n'empêche que dans la société civile, il y a une tendance influente qui demande d'instaurer un débat national sur la question. «L'Etat doit étendre son influence sur toutes les mosquées», réclame le politologue Hamadi Redissi. «Ce n'est pas normal que l'on envoie nos jeunes en pâture dans des actes suicidaires au nom de l'islam», regrette-t-il. L'Etat a, certes, fait de petits gestes pour récupérer les mosquées. Mais, «au vu de la présence des Tunisiens dans les réseaux d'AQMI, aussi bien en Tunisie et au Mali, au vu de leur présence en Syrie, Irak, Afghanistan, etc., un grand travail reste à faire», conclut Hamadi Redissi.