Des érudits, prêcheurs et imams du Mali, du Niger, du Burkina Faso, de Mauritanie et d'Algérie se sont regroupés, hier à Alger, pour débattre du fléau de l'extrémisme religieux, de ses causes et de son traitement. Une déclaration finale sur la pensée fanatique et les événements au Mali sera adoptée, aujourd'hui, à la fin des travaux. Pour la première fois, des érudits, prêcheurs, imams et prédicateurs des pays du Sahel, dont le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et l'Algérie, se reconnaissant du rite malékite, se sont réunis, avant-hier à Alger, lors d'un séminaire consacré à l'extrémisme religieux, ses causes, ses effets et son traitement. L'ensemble des hôtes de l'Algérie était unanime à dénoncer «cette pensée destructrice qui s'est répandue dans la région du Sahel et qui a terni l'image de l'islam et des musulmans». Lors de l'ouverture des travaux, Ahmed Tikhemrine, un prédicateur algérien, explique que «cette initiative a été évoquée lors d'une rencontre à La Mecque entre les adeptes du rite malékite qui étaient préoccupés par la situation au nord du Mali, notamment l'invasion de cette région par les groupes de fanatiques. Nous étions tous d'accord sur la nécessité d'une ligue pour combattre l'extrémisme, le fanatisme et la criminalité qui menacent la paix, la stabilité et la sécurité de la région». Il met en garde contre le fanatisme religieux que l'islam interdit à partir du moment qu'il constitue «la religion du juste milieu». Le fanatisme a conduit aux appels à la violence, au meurtre, à la violation des lieux sacrés, à l'apostasie des oulémas et à la destruction des biens de la communauté. Abondant dans le même sens, le Nigérien cheikh Daoud met l'accent sur les conséquences «néfastes» de ces mouvements extrémistes qui, selon lui, ne peuvent être combattus que par la pensée. «Seule la religion peut mettre à nu ces fanatiques. Nous devons défendre les références religieuses de notre région afin de couper la route aux prêcheurs de la violence et de la destruction. La création de la ligue des oulémas du Sahel répond à cette forte demande d'une instance référentielle à même de trancher les questions de la religion et éviter ainsi le recours à des canaux et des pensées qui sont loin de refléter notre ouverture sur le monde, notre pratique religieuse et nos références théologiques», affirme cet imam de la Grande Mosquée de Niamey, avant de céder sa place à un algérien, Abdelmalek Ramdane El Djazaïri. D'un franc-parler suivi avec une grande attention par les participants, Abdelmalek Ramdane El Djazaïri met en relief «les graves dérives» du fanatisme dont les adeptes sont assimilés aux «kharidjite». «Ils ont outrepassé les préceptes de la religion, qui prône la tolérance, à travers leur rigorisme dans la pratique de l'islam, l'obéissance aveugle à leur chef, le refus de l'avis de l'autre, l'interdiction du licite, de tout ce qui est bon pour l'être humain pour torturer son âme, la rébellion contre la société et surtout tkfir (accuse d'apostasie), l'ignorance des bases du djihad, la non-compréhension des fatwas (décrets) des oulémas, notamment de Ibn Taymiya, etc.», révèle le conférencier. Pour lui, les parents doivent faire très attention aux fréquentations de leurs enfants et aux programmes de télévision qu'ils regardent. «Lorsque votre enfant fréquente les mosquées, soyez vigilants ; surveillez leurs références et contrôlez leurs prédicateurs avant qu'ils ne tombent entre les mains de fanatiques. Ils doivent être imprégnés du savoir de nos aînés et non pas de ceux qui ignorent totalement le vrai message de l'islam. Pour être prédicateur ou mufti, il faut des conditions. D'abord être âgé, mais aussi avoir un savoir assez riche et reconnu. Jamais un jeune ne peut être reconnu en tant qu'érudit juste parce qu'il a lu un livre ou deux. Il faut aussi savoir équilibrer entre la modernité et l'authenticité», souligne-t-il, précisant que «les fatwas qui rendent licites les tueries et les assassinats ont donné une vile image de l'islam, poussant nos enfants à avoir peur de la religion musulmane et suscitant des pressions énormes sur les musulmans à travers le monde. Je peux dire que 99% des fanatiques tombent entre les mains des ennemis de l'islam». Le conférencier conclut en plaidant pour l'ouverture des portes de la science, du savoir et de la jurisprudence : «Les nombreuses rencontres avec les terroristes, les prisonniers et certains chefs extrémistes ont permis de casser cette la pensée et d'emmener beaucoup de jeunes à la raison. La pensée ne peut être combattue que par la pensée.» «La pensée ne peut être combattue que par la pensée» Les mêmes propos sont tenus par cheikh Mouadou Soufi, du Burkina Faso, pour lequel la violence religieuse constitue aujourd'hui la plus grande préoccupation. Il explique que les fanatiques, tout comme les bandits de grand chemin, utilisent un uniforme pour tromper leurs victimes. Les premiers s'habillent en tenue militaire ou de police pour voler les gens, les autres utilisent l'islam pour attirer les jeunes dans leurs activités criminelles. «Tout le monde sait que notre religion ne nous enseigne ni la violence ni le terrorisme, mais l'amour de l'autre et la tolérance (…). Ce qui se passe au nord du Mali constitue de graves violations comme le mariage forcé, l'amputation des mains et les lapidations, résultant d'une interprétation erronée du Coran (…). Les acteurs de cette invasion fanatique ont profité de la situation en Libye, d'où ils ont ramené des armes, favorisant ainsi l'implantation élargie de l'extrémisme. La pauvreté que subit la population dans cette région a poussé celle-ci à composer avec les terroristes. Ces derniers assuraient des salaires assez importants à tout nouveau djihadiste, suscitant ainsi un rush vers les groupes terroristes (…). Il faut unir nos efforts pour mieux expliquer notre religion à nos enfants et les préserver de cette pensée destructrice.» Pour sa part, cheikh Alphadallah Kounta, du Mali, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Il qualifie les djihadistes de bandits, de trafiquants de drogue et de mercenaires «qui menacent notre religion basée sur le principe de compréhension et de cohérence». Il dénonce l'incendie provoqué hier aux plus importants manuscrits du centre Ahmed Baba, à Tombouctou, par les extrémistes, tout en appelant à un front uni contre «le danger de l'extrémisme». L'imam Moussa de la Grande Mosquée de l'université de Noukchott, en Mauritanie, abonde dans le même sens en revenant sur la définition du fanatisme, assimilé au terrorisme et qui, selon lui, est catégoriquement rejeté par la religion musulmane. Imam de la mosquée d'Agadez, au Niger, cheikh Boureina Abadou Daouda évoque les deux rebellions que le nord de son pays a connues, précisant qu'«elles n'ont rien à avoir avec la religion, mais sont plutôt liées aux droits politiques. Mais des chefs religieux ont pris les devants avec ce qui se passe ailleurs pour ouvrir des canaux de communication afin d'expliquer aux jeunes le danger de ce courant destructeur». Slimane Bensofiane, un jeune prédicateur algérien, surprend l'assistance avec son intervention sur l'expérience algérienne. Lui aussi insiste beaucoup sur «la pensée qui doit être l'arme avec laquelle l'extrémisme doit être combattu». Il déclare : «L'Algérie, malgré les années de cendre qu'elle a vécues durant toute une décennie, s'est relevée et a pu, grâce à une stratégie globale impliquant les hommes de religion, réunifier ses rangs et cicatriser ses plaies. Le fer ne peut être battu que par le fer et l'idée ne peut être combattue que par l'idée. Il a fallu collecter tous les textes religieux pour les confronter avec ceux sur lesquels les fanatiques se basent pour tuer et massacrer. Il n'est plus question de laisser le domaine des fatwas sans contrôle. L'Etat doit instaurer ce que nous appelons la sécurité de la pensée, à travers le contrôle des réseaux qui diffusent les fatwas contraires à notre islam, en donnant le maximum de réponses et d'arguments. Aucun pays au monde n'a vécu ce que l'Algérie a enduré durant les années 1990 où certains pays attisaient le feu de la fitna pour détruire notre pays (…) ; fort heureusement il s'est relevé grâce à tous ses patriotes dans tous les domaines, notamment ces hommes de religion dont je fais partie, qui ont pris le risque d'aller dans les maquis et dans les prisons pour expliquer aux plus convaincus des fanatiques qu'ils font des lectures erronées de l'islam. L'expérience de la concorde civile est aujourd'hui un cas d'école que les Saoudiens ont copiée pour l'utiliser chez eux.» A signaler la présence, parmi les invités à ce séminaire, de grandes figures algériennes de la théologie comme le cheikh Aït Aldjat, son élève Mohamed Cherif Gaher (président de la fatwa) et plusieurs membres de l'association des oulémas ainsi que des membres du Haut-Conseil islamique.