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Hamas ou l'islamisme en costume
Voyage à l'intérieur des partis
Publié dans El Watan le 11 - 04 - 2006

Entré avec un butin de 400 000 voix, lors des premières élections communales pluralistes en 1990, le Mouvement de la société pour la paix (MSP), ou Hamas, le nom d'origine auquel le défunt Mahfoud Nahnah était très attaché, est sorti, lors des communales de 2002, avec 600 000 voix.
Une révélation sans cesse répétée par le n°2 du parti islamiste, Abdelmadjid Menasra, qui nous a reçus pendant des heures dans son bureau, pour déclarer à ses détracteurs que sa formation politique n'a pas perdu du terrain. Tout au long des quatre étages de l'immeuble qui abrite le parti (mis à sa disposition par l'Etat) sont alignés de nombreux portraits des militants assassinés par les groupes armés. Le premier est celui d'une femme. Au premier étage, une salle de prière reconnaissable aux nombreuses chaussures se trouvant à l'entrée. Les portraits du défunt Nahnah sont accrochés sur tous les murs, y compris sur ceux du bureau de Menasra, à côté de la photo de cheikh Yassine, le chef spirituel du Hamas palestinien. Des versets coraniques et l'hymne national arborent également le bureau du n°2 du mouvement. Celui-ci a assimilé les partis à la bourse. « Il y a des moments où l'on se place au plus haut de la barrière, et d'autres au plus bas. » Néanmoins, Bouguerra Soltani a reconnu implicitement que les résultats des scrutins en Algérie sont souvent truqués et donc ne peuvent être utilisés comme référence. « En 1995, cheikh Nahnah était le vainqueur de l'élection présidentielle. Mais le pouvoir n'a pas accepté les résultats. Ces derniers ont été changés au profit de Liamine Zeroual. Nous n'avons rien dit parce que nous considérions que la stabilité de l'Algérie était pour nous plus importante que le parti ou le pouvoir. Il y a eu, par la suite, la fraude des législatives de 1997, puis celle de 2002. Le système était devenu plus professionnel dans la manipulation des résultats. Il avait besoin d'un FLN avec une majorité absolue, il l'a fait sans scrupule. Nous avons nos chiffres et nous savons que le taux de participation n'a pas dépassé les 30%. Sans opposition à l'APN, il n'y aura pas de débat. C'est la situation actuellement de l'Assemblée... » En fait, ceux qui suivent de près cette formation politique reconnaissent que celle-ci a traversé trois grands bouleversements. Le premier a eu lieu en 1996, lorsque cheikh Nahnah a décidé, en 1996, de mettre les pieds dans le pouvoir en acceptant des postes de ministres sans importance et souvent privés de toute prérogative. Le cheikh tenait beaucoup à la politique de l'entrisme. Celle-là même pratiquée par le courant des Frères musulmans en Egypte et ailleurs dans le monde arabe. Elle consiste à occuper le terrain - quel que soit le terrain - et prendre tout le temps nécessaire pour le faire dans l'objectif d'arriver au sommet, même si en cours de route, il laisse une partie de sa base. Menasra reconnaît que les portefeuilles accordés à sa formation sont techniques et sans aucun pouvoir décisionnel. « Moi-même j'ai eu le poste de ministre de l'Industrie et des Mines, par exemple. Mais les mines étaient sous contrôle du ministre de l'Energie et les entreprises sous celui des holdings. Le ministre du Tourisme n'avait aucune prérogative sur les hôtels étatiques. A l'époque, les dirigeants voyaient mal notre entrée au gouvernement... », a-t-il déclaré. Cette politique de figuration pour les uns ou d'entrisme pour les autres a fini par provoquer une hémorragie au sein du parti. De nombreux militants ont fini par constater que le pouvoir fini toujours par corrompre ceux qui s'y approchent. D'autant que les noms de nombreux élus communaux, de wilaya, députés et même de ministres ont été mêlés à des affaires de corruption ou de détournement. La seconde onde de choc qui a déstabilisé le parti a été la mort de Nahnah en juin 2003. Subite et n'ayant pas permis la préparation d'un successeur, cette disparition a laissé transparaître de grandes dissensions au sein de la direction du parti, qui a connu par la suite une autre orientation. Historiquement, Hamas a été créé par Nahnah, avec l'aide de gros commerçants de la Mitidja, lesquels ont constitué de tout temps le centre décisionnel du mouvement. Or, après la disparition du cheikh et l'arrivé de Bouguerra Soltani, la donne a complètement changé. Le nouveau patron de Hamas, natif de Tébessa (son vice-président de Batna), est venu avec d'autres bailleurs de fonds, originaires de l'est du pays. Très discrète et subtile, l'opération de purge menée pour éloigner les premiers « argentiers » du parti a été réussie, dans la mesure où aujourd'hui le pouvoir a changé totalement de mains. Enfin, le troisième bouleversement qui a failli faire exploser le parti a été l'acceptation par le premier responsable du parti, Bouguerra Soltani, d'un poste de ministre d'Etat sans portefeuille, sous la coupe de Ahmed Ouyahia, chef d'un parti laminé lors des élections législatives de 2002. Cette décision a provoqué une véritable crise au sein du mouvement. Les plus proches collaborateurs de Soltani, tels que Menasra et Ahmed Dane, Abderrahmane Saïdi et Hadj Slimane Dhiri, sont montés au créneau pour le descendre en flammes publiquement. « Il s'agit d'une question de non-respect des traditions et du fonctionnement du parti. Nous n'acceptons pas que notre chef de parti soit sous les commandes d'un autre chef de parti... », avait déclaré à la presse Menasra, il y a une année.
Le mouvement de redressement n'a pas eu lieu
Tous les ingrédients d'un mouvement de redressement étaient réunis. Mais le système avait besoin encore du parti. Une telle fracture n'aurait pas arrangé le scénario de la coalition présidentielle à laquelle il tient tant. Les dissidences ont vite été étouffées, grâce à des tractations souterraines. Le conflit a fini par être tranché au niveau du Madjliss echoura, où la majorité était acquise à Soltani. Mais comment un parti islamiste peut-il s'allier à une formation dite éradicatrice. Menasra a expliqué que le parti s'entend avec le RND quand il s'agit d'économie parce qu'il prône l'ouverture totale du marché. Ses divergences avec le FLN portent beaucoup plus sur la religion et les libertés, que ce parti veut réduire au maximum. « Mais nous nous sommes entendus sur un SMIG, ou une plateforme, sans pour autant faire abstraction des orientations de chacun des partis... » Ce qui explique certaines prises de position virulentes de l'aile dite radicale du mouvement, avec à sa tête Mokri, notamment quand il s'agit de décisions de la coalition ou du gouvernement liées notamment à la religion, à l'école, aux questions de la femme et de la famille. Ces sorties ont poussé, d'ailleurs, Ouyahia a déclarer que « le mouvement excelle dans l'art du dribble et de la répartition des tâches ». Lors de l'entretien, Menasra a indiqué, par exemple, avoir applaudi la suspension de l'émission libanaise Star Académie de l'écran de l'ENTV. « Cette chaîne appartient à l'Etat algérien. Il est anormal que des émissions comme Star Académie, qui montrent des scènes impossibles à voir en famille, puissent pénétrer nos foyer... » Pour lui, d'autres chaînes câblées captées par les Algériens sont très dangereuses, en citant les chaînes irakiennes chiites. « Je ne suis pas contre les chiites, mais les messages transmis par ces chaînes sont très extrémistes. Ils appellent carrément à la mort des sunnites. Je suis pour toutes les libertés, y compris religieuses, mais cette liberté doit être exercée dans le cadre du respect des constantes nationales et religieuses. Je suis contre l'emprisonnement des journalistes, mais ces derniers doivent répondre de leurs actes lorsqu'ils commettent des erreurs, comme par exemple reprendre les caricatures du Prophète Mohamed, après qu'elles aient soulevé la colère du monde musulman... » L'autre point qui a opposé le mouvement au gouvernement est la réforme éducative. Le MSP a estimé que cette réforme a pris une direction laïque. Ce qui, pour lui, est en violation de la Constitution, qui stipule que l'islam est la religion de l'Etat. « Il n'y a pas d'école universelle. Il y a tout simplement une éducation à faire pour apprendre à nos enfants à connaître leur religion et à aimer leur pays. Il n'y a pas de logique dans la réforme menée actuellement. Elle sera donc un échec. La laïcité déstructure complètement la personnalité de l'individu. Regardez ce qui se passe en France, cette laïcité a fait reculer sensiblement les gens de la religion. C'est cela le danger qui guette l'école algérienne... » Menasra a nié toute implication de son mouvement dans ce que les responsables du ministère des Affaires religieuses ont appelé la guerre pour le contrôle des mosquées. Néanmoins, il a reconnu, entre les lignes, que les imams militants du mouvement recourent à l'art de la politique. « Oui, nous avons des militants qui officient comme imams. Mais ils restent des fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses. Un imam ne peut en aucun éviter de faire de la politique. Il doit parler des problèmes de la société, qui sont souvent politiques. Le premier qui exerce cette politique, c'est le système lui-même. Des consignes ont de tout temps été données aux imams pour appeler les fidèles à donner leurs voix au candidat du pouvoir, comme cela a été le cas en 2002 » Le numéro 2 du MSP a, néanmoins, attiré l'attention sur « la manipulation actuellement exercée par certains cercles du pouvoir pour aider le courant de la salafiya al ilmiya à prendre du terrain, dans le but de contrecarrer son opposé, la salafiya djihadiya, ce courant extrémiste ravageur. Ces cercles sont en train de jouer avec le feu. De nombreuses mosquées sont sous l'emprise de cette tendance, qui prône l'application intégrale de la charia par les individus, en s'abstenant de faire de la politique ou de s'intéresser à la gestion du gouvernant. Ce qui est tout aussi dangereux que ceux qui prônent l'idéologie de takfir (d'apostasie)... ». Pour Menasra, « la religion est un tout. Elle a les solutions à tous les problèmes de la société. Le Coran est un projet de société et non pas juste une relation personnelle avec Dieu. Celui-ci a laissé les portes de l'ijtihad (jurisprudence) ouvertes pour faire en sorte que le Coran soit applicable en tout temps et dans toutes les situations ». Il a noté que sur la question du code de la famille, le mouvement était pour une réforme et non une abrogation. « Cette réforme doit être faite en respect au texte coranique. Il y a la jurisprudence, mais il y a aussi des principes intouchables parce que bien définis dans le Coran... » Comme une bonne partie des formations politiques, Hamas n'a pas laissé beaucoup de place aux femmes au niveau de ses instances dirigeantes. Un seul poste sur 13 est occupé par une femme au bureau national, alors qu'au niveau du Madjliss echoura, elles ne représentent même pas une trentaine, sur un effectif de 200 membres. Dans les wilayas, elles occupent la direction des commissions chargées des femmes et de la famille. Sur la question de la charte pour la paix, Menasra a noté que sa mise en œuvre telle qu'elle est menée actuellement risque de connaître un échec. « Nous n'avons jamais dit qu'il faut ouvrir les prisons ou glorifier le terrorisme. L'application de la charte ne doit pas se faire par les juges et les policiers, mais par des psychologues, des imams, des sociologues et des spécialistes qui pourraient détecter ceux qui restent convaincus de leur idéologie et ceux qui méritent de bénéficier du pardon. Il fallait aussi que ces bénéficiaires soient éloignés des quartiers ou des régions où ils ont fait du mal, pour les protéger et ne pas heurter la sensibilité des familles des victimes. Nous avons perdu 500 de nos militants durant le terrorisme. Certains d'entre eux ont été exécutés par des membres des services de sécurité et même des patriotes... », a-t-il déclaré, avec une note de tristesse. Sur la question du budget du parti, Menasra a affirmé qu'il tourne annuellement autour de 20 à 30 millions de dinars. Le parti reçoit une contribution de l'Etat, mais également une somme de 200 000 DA par député annuellement. Il n'a pas été très prolixe concernant les contributions des gros commerçants, qui restent apparemment les plus importantes et difficiles à quantifier.


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