Pour la première fois de son histoire, le parti islamiste fera face à une crise de croissance. Histoire d'un dilemme. “Une grande perte. Pour le parti et pour le pays”, affirmait un des hauts dirigeants du MSP, deux jours avant la mort de Mahfoud Nahnah. Evidemment, le décès de son leader est une perte sèche pour la formation islamiste. Une formation qui, en fin de compte, a ressemblé aux autres, à bien d'autres en tout cas. Un mouvement bâti, construit, structuré autour d'une personne, une seule ; une personne, son initiateur, devenue par le poids des ans, par la richesse des expériences, par l'usure du temps, sa véritable incarnation. Son âme. En treize ans, le Mouvement de la société pour la paix n'a existé qu'à travers son charismatique (principal) fondateur. Si la disparition de ce dernier n'a surpris aucun de ses proches (la maladie cancéreuse de Nahnah était connue ; depuis son retour — définitif — au pays, le 11 juin, sa mort n'était plus qu'une question de jours), la complexité du remplacement comporte beaucoup d'incertitudes. Par décence, personne au MSP n'osera, d'ici au congrès, revendiquer une quelque volonté de succéder au président-défunt. Mais, sitôt le deuil fait, les choses reprendront forcément leur cours naturel. Les responsables du parti ne voudront pas entrer dans une guerre de succession qui, à court terme déjà, risque de les disperser. “Nous ne manquons pas de cadres, ni de personnalités, et chacun a le droit d'être ambitieux. Si toutefois vous vous attendez à des déchirements ou à des batailles internes, vous faites fausse route. Seul le congrès décidera de la nature des changements, voire des responsabilités elles-mêmes.” L'homme qui s'exprimait ainsi est Abdelmadjid Menasra, porte-parole du MSP, ancien ministre de l'Industrie. Il nous affirmait, quatre jours avant la mort de Mahfoud Nahnah, que les analyses parues dans la presse à propos des “prétendues appétits de succession” étaient de simples affabulations. Comment donc le MSP évoluera-t-il maintenant que son président n'est plus ? Qui, parmi ses dirigeants les plus en vue, pourrait prendre les choses en main ? Pendant son règne, Nahnah a toujours prêché la modération. Plusieurs fois, il a crié au chantage et au vol (des voix) avant de s'aligner. En 1995, lui et ses militants étaient persuadés qu'ils avaient gagné l'élection présidentielle et qu'ils ont été privés de la victoire finale (au profit du candidat du système, Liamine Zeroual). En 1997, il avait revendiqué plus des 58 sièges qui lui ont été attribués à l'APN lors des élections législatives remportées — grâce à la fraude — par le RND. En 1999, il avait été déclaré hors course (à la présidence) faute d'attestation communale de moudjahid. D'abord menaçant, Nahnah “revenait à de meilleurs sentiments” par la suite. Cela est sans doute à l'origine du grand hommage que le système lui a rendu vendredi à El-Alia. Cette ligne de modéré, il l'a imposée à ses frères du parti. Et des hommes à la dent dure, à l'image de Abderrazak Mokri, seraient peut-être tentés de renfrogner la mine. Mokri et un groupe avec lui s'étaient opposés farouchement à leur leader quant au soutien de la candidature de Abdelaziz Bouteflika, il y a quatre ans. Mais à l'intérieur, le député de M'sila, ancien président du groupe parlementaire à l'APN, a besoin de parrainage. Les vieux loups comme Sayeh, Aziez, Hadj Hammou, Megharia (un des deux vice-présidents), Soltani et Ghoul souhaiteraient honorer la mémoire de Nahnah en préservant sa ligne. Ce seront, en définitive, deux volontés qui devraient s'affronter lors du prochain congrès, lequel se tiendrait fin septembre ou début octobre. D'une part, la volonté de marcher sur les pas du leader (“Nous n'excluons pas la possibilité de soutenir une candidature externe lors de la prochaine élection présidentielle”, soutient Menasra), d'autre part, la volonté d'imprimer au MSP une démarche purement islamiste et d'opposition. Si le deuxième choix l'emporte, ce parti tournerait une page de son histoire. L'ère Nahnah ne serait alors que vague souvenir et lointain passé. Dur le dilemme, surtout lorsqu'il est islamiste ! L. B. Mohamed Megharia assure l'intérim Le vice-président Mohamed Megharia assurera l'intérim à la présidence du MSP jusqu'au prochain congrès, dont la date n'a pas été arrêtée. Megharia a prononcé, vendredi au cimetière d'El-Alia, l'oraison funèbre au moment de l'inhumation de Mahfoud Nahnah.