Des dizaines de milliers de Tunisiens étaient présents hier au cimetière Jellaz, à Tunis, pour les obsèques du leader des patriotes démocrates, Chokri Belaïd, assassiné dans sa voiture, mercredi matin, devant chez lu. De notre correspondant Il a fallu un assassinat politique pour qu'il y ait (re)prise de conscience, chez la majeure partie de la classe politique, sur la gravité de la spirale de violence. En effet, les citoyens (toutes catégories confondues) sont sortis hier pour accompagner la dépouille de Chokri Belaïd à sa dernière demeure. Il y avait des jeunes et des moins jeunes, des hommes et des femmes voilées et non voilées, des riches et des moins riches…. Les colonnes de voitures devant le cimetière s'allongeaient sur des kilomètres. La place Jellaz était pleine comme un œuf. Des dizaines de milliers de personnes étaient là. Mounir, la cinquantaine, dont le profil est islamiste modéré avec une barbe bien soignée, appelle à la réconciliation nationale «pour faire face à ces djihadistes qui ont des armes et peuvent semer la terreur». «Ennahda a, certes, commis des erreurs, mais ce n'est pas la fin du monde. Il suffit de réunir toutes les composantes politiques nationalistes pour faire le bilan et tracer un programme d'urgence pour sauver la Tunisie», propose-t-il. Nadia, une jeune fille voilée de 23 ans, dit partager «certaines idées d'équité de Chokri Belaïd» et rejeter «d'autres idées». Le défunt demeure pour elle un symbole de bravoure et de courage. «Ce sera l'icône qui éclairera notre chemin à l'avenir», a-t-elle conclu, les yeux pleins de larmes. Ezzeddine Hazgui, un militant de 66 ans, considère que l'assassinat de Chokri Belaïd va constituer le tournant vers une Tunisie tolérante et démocratique et sceller le sort du totalitarisme. «Le gouvernement de la troïka a échoué et il faut tracer une feuille de route de nouvelles échéances électorales pour faire sortir le pays de l'impasse», a-t-il souligné. Manifestation de l'opposition, absence du gouvernement Les obsèques de Chokri Belaïd se sont transformées en une véritable grande manifestation politique populaire de l'opposition. Tous les leaders de l'opposition étaient là. L'ancien Premier ministre et président du parti Nida Tounes, Béji Caïd Essebsi, s'est déplacé au domicile familial du défunt pour présenter ses condoléances à son père et à sa famille. Le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami, a lu l'oraison funèbre au nom de tous les démocrates tunisiens ; il a rappelé les mérites du martyr, notamment son courage et sa détermination dans la lutte contre la dictature. «La Tunisie et la démocratie ont certes perdu la voix de Chokri, mais des milliers de voix resteront fidèles au chemin tracé par notre camarade Chokri», a-t-il indiqué, avant que la foule ne reprenne en chœur : «Martyr, martyr, nous ne dévions pas de la voie que tu as tracée.» Tous les secrétaires généraux des partis politiques de l'opposition ont fait le déplacement. Des membres de toutes les organisations de la société civile démocratique sont venues avec des banderoles. Mais le gouvernement était absent. Il est vrai que la veuve du défunt a expressément accusé le parti Ennahda de l'assassinat de son mari. Un seul appel a rejailli dans toutes les discussions, sur toutes les lèvres et toutes les banderoles : la Tunisie doit ressortir démocratique et civile de cette impasse.