L'appel à la grève générale lancé par la puissante Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) pour dénoncer le «grave tournant qu'ont pris les évènements en Tunisie et la spirale de violence ciblant les syndicalistes et tous les acteurs de la société civile et politique dans le pays» a été largement suivi hier, jour des funérailles du secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, Chokri Belaïd, tué par balle mercredi à Tunis. M. Belaïd, 48 ans, était l'une des figures de l'alliance de mouvements de gauche appelée le Front populaire. Il dirigeait le Parti des patriotes démocrates qui avait rejoint l'alliance «Front populaire» fédérant une dizaine de groupuscules d'extrême gauche et nationalistes arabes. Aucune indication n'avait encore été donnée hier sur les auteurs de son meurtre. Bien que la principale organisation ouvrière – qui ainsi se lance le dur pari de faire barrage à l'intégrisme religieux – avait insisté sur la nécessité d'assurer un service minimum aux citoyens, l'aéroport de Tunis-Carthage, le principal du pays, est resté pour ainsi dire fermé. Tous les vols depuis et vers la Tunisie ont été annulés. «Tous les départs et toutes les arrivées ont été annulés pour toute la journée de vendredi (hier, ndlr)», a indiqué le service de renseignement de l'aéroport. «Cela concerne aussi tous les vols intérieurs» en Tunisie, a précisé cette source. Une telle paralysie est une première depuis le 14 janvier 2011, jour de la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali qui avait déclenché le Printemps arabe. A l'image de l'aéroport Tunis-Carthage, toute la capitale tunisienne a été paralysée. Preuve que l'UGTT mobilise et que la population adhère à son mot d'ordre, le reste du pays a tourné au ralenti. Les universités tunisiennes ont décidé également de fermer jusqu'à lundi. La grève intervient dans un contexte économique et social très tendu. Les manifestations et conflits sociaux, souvent violents, se multiplient en raison du chômage et de la misère, deux facteurs-clés de la révolution. D'ailleurs, l'état d'urgence est resté en vigueur depuis la révolution. Mais ce qui inquiète davantage, c'est que des violences impliquent de plus en plus des groupuscules islamistes radicaux. Divisions à Ennahda Au plan politique, l'assassinat de Chokri Belaïd a non seulement aggravé la crise politique, mais fait également naître des divisions entre modérés d'Ennahda représentés par le Premier ministre Hamadi Jebali et n°2 du parti et une frange plus radicale rangée derrière leur chef historique, Rached Ghannouchi. M. Jebali avait appelé à un gouvernement restreint de technocrates rejeté par Ennahda. Ce rejet a eu pour effet de retourner l'opinion contre le parti dirigé par M. Ghannouchi. Les funérailles de Chokri Belaïd, en présence des dizaines de milliers de personnes, ont pris des allures de manifestation contre le parti islamiste au pouvoir Ennahda accusé de cet assassinat. Des heurts y ont éclaté malgré l'imposant dispositif policier et militaire. Pour prévenir tout dérapage après l'enterrement du leader du Parti des patriotes démocrates, des hélicoptères de l'armée ont commencé à survoler dès les premières lueurs du jour Tunis où des camions militaires ont été déployés avenue Bourguiba, épicentre des heurts ces derniers jours qui ont coûté la vie à un policier. Tout ce déploiement n'a tout de même pas empêché des dizaines de jeunes manifestants hostiles au pouvoir d'occuper la rue avant que les policiers n'interviennent pour les disperser à coups de matraque et de gaz lacrymogènes. Les militaires ont été aussi déployés dans les villes de Zarzis (sud), autre point chaud près de la frontière libyenne, à Gafsa (centre), et à Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011, devant les principales administrations. Dans ces villes et ailleurs, des centaines de personnes défilaient en scandant «Assassins» et «Chokri repose-toi, on continuera ton combat». Réactions : -Organisations du Forum social mondial révoltées : nous, organisations signataires engagées dans les préparatifs du Forum social mondial (FSM) qui se tiendra en mars 2013 à Tunis, sommes consternées et révoltées par l'assassinat de Chokri Belaïd, leader politique qui a consacré sa vie à lutter pour la démocratie, la liberté et la justice sociale. Nous exprimons nos condoléances à la famille du défunt, à ses compagnons de lutte, aux démocrates tunisiens, à ses amis, au peuple tunisien pour la perte d'un homme qui n'a eu de cesse de les défendre. Ce crime odieux intervient deux années après le déclenchement des révolutions en Tunisie et dans la région et à moins de deux mois de la tenue du FSM-2013 à Tunis. Cet assassinat vise à faire taire ceux et celles qui luttent pour la dignité, la liberté et la justice sociale, il vise à créer un climat de peur et de haine et à faire basculer la Tunisie dans la violence. Un tel acte ne pourra enrayer ni arrêter le processus engagé par les démocrates tunisiens avec qui nous sommes solidaires. Nous sommes convaincus que les forces démocratiques tunisiennes sauront garder la forte et inébranlable conviction et le choix de la résolution pacifique des conflits pour parfaire leur processus démocratique. Nous appelons les autorités tunisiennes à diligenter d'urgence une enquête impartiale pour déterminer les auteurs de cet assassinat et de tout mettre en œuvre pour que cet acte ne reste pas impuni et ne se reproduise plus. Nous sommes plus que jamais convaincus de la nécessité d'une mobilisation internationale pour la réussite du FSM-2013 pour en faire un moment fort de soutien au processus démocratique en Tunisie. -L'ONU «condamne fermement» : le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a «fermement condamné» l'assassinat du leader de l'opposition tunisienne et secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, Chokri Belaïd, et appelé à faire «avancer les réformes» dans ce pays. Tout en soulignant «les progrès importants dans la transition en Tunisie», M. Ban a cependant estimé, dans une déclaration publiée jeudi soir par son porte-parole, qu'il «reste beaucoup à faire en termes de processus constitutionnel et au regard des exigences socioéconomiques du peuple tunisien». Le secrétaire général de l'ONU «encourage les autorités à faire avancer le processus de réforme», a poursuivi son porte-parole, insistant que la «transition démocratique» en Tunisie «ne doit pas être compromise par des actes de violence politique». -L'UA atterrée par l'assassinat de l'opposant Tunisien : l'Union africaine (UA) a condamné hier l'assassinat du leader de l'opposition tunisienne et secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, Chokri Belaïd, estimant que cet acte menace de saper les efforts visant à parachever pacifiquement le processus de transition en cours. Dans un communiqué publié à Addis-Abeba, l'organisation panafricaine souligne qu'elle est convaincue que les autorités tunisiennes ne ménageront aucun effort pour traduire les auteurs de ce crime odieux devant la justice, tout en déployant les efforts nécessaires pour améliorer l'environnement sécuritaire dans le pays. L'UA rappelle au peuple et aux dirigeants tunisiens «l'urgente nécessité de surmonter leurs divergences et de s'élever au-dessus des considérations partisanes et idéologiques pour que les fortes attentes générées par la révolution de 2011 soient satisfaites». -L'UGTA dénonce «avec fermeté» le meurtre de Chokri Belaïd : l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) a condamné «avec fermeté» le «lâche» assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général et cofondateur du Front populaire en Tunisie, tout en réaffirmant son soutien à l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). «Cet acte obscurantiste qui vise le peuple, les valeurs républicaines et les travailleurs tunisiens dans leur essence, ne pourra jamais porter atteinte ni faire obstacle à la lancée pour un renouveau démocratique, de défense des droits humains et d'une justice sociale», a souligné la centrale syndicale dans un communiqué rendu public hier, signé par son secrétaire général, Abdelmadjid Sidi Saïd. La centrale syndicale se considère, en outre, «mobilisée» pour apporter «toute sa force et sa solidarité contre l'obscurantisme et le fondamentalisme».