Des milices chauffées à blanc et une garde révolutionnaire en gestation clonée sur le modèle des Basidji iraniens, les «gardiens de la révolution» islamiste. La Ligue pour la protection de la révolution tunisienne (LPR) d'extraction islamiste est dans l'œil du cyclone depuis l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd. L'assassinat politique a suscité en effet une levée de bouclier au sein (d'une partie) de la classe politique tunisienne qui exige la dissolution pure et simple de cette ligue accusée notamment de vouloir mettre sous coupe réglée la société, d'installer un climat de terreur, de répandre la violence, la haine et de se substituer à l'Etat et à ses services d'ordre. Instrumentalisée par les partis de la troïka au pouvoir en Tunisie, la LPR était à l'origine constituée des anciens comités de quartier nés dans le sillage de la révolution du 14 janvier, avant de tomber dans l'escarcelle du parti Ennahda. Dans le viseur de la LPR, gagnée par la paranoïa, figurent les «anciens Rcdistes» qui se seraient recyclés (d'après elle) au sein du mouvement Nida Tounès de Béji Caïd Essebsi, certains partis de l'opposition, les élites laïques, des médias, des syndicalistes, des hommes d'affaires véreux, tous jugés «ennemis de la révolution». Incitation à la haine, intimidations, méthodes de barbouzes, sabotage des meetings et manifestations des partis de l'opposition, la LPR est à la Tunisie aujourd'hui ce que la «police islamique» et l'Armée islamique du salut ont été à l'Algérie au lendemain de la victoire du FIS, en 1991. Le 18 octobre 2012, à Tataouine (au sud de la Tunisie), premier grave dérapage : la LPR – autoproclamée «âme de la révolution», soutenue par le Congrès pour la République (CPR) et Ennahda – organise une marche dite de «l'assainissement» de la révolution. Objectif : «Se débarrasser des ennemis du peuple et de la révolution.» La manifestation dirigée essentiellement contre Nida Tounès s'est soldée par l'agression du coordinateur local de ce parti, Lotfi Nagued, mort par la suite. Le 4 décembre 2012, la LPR s'en prend à l'UGTT, le puissant syndicat tunisien, qu'elle veut «épurer». Lynchage en bonne et due forme de plusieurs syndicalistes – dont des membres du bureau exécutif – à Tunis, devant le siège historique de l'UGTT. Le syndicat a de suite appelé à la grève générale avant de se raviser. Au tableau de chasse de la LPR figurent également des journalistes et des médias accusés de nourrir la «contre-révolution». Le 29 décembre 2012, des journalistes du site Nawaat qui révéla l'implication de membres de la LPR dans une affaire de trafic d'armes et de projet d'assassinat de personnalités publiques font l'objet de menaces et d'intimidations. Des associations – comme l'Association tunisienne de soutien des minorités qui célébra la déportation des juifs tunisiens durant la Seconde Guerre mondiale –, des personnalités de la société civile – dont le chef de la communauté juive Roger Bismuth, Béji Caïd Essebsi et le lobbyiste Kamel El Taïef – furent également violemment pris à partie par la Ligue parce que désignés comme les meneurs de la contre-révolution.