En réaction aux obsèques grandioses du dirigeant de l'opposition de gauche radicale, Chokri Belaïd, organisées la veille, le mouvement Ennahda a appelé ses sympathisants à investir hier la rue pour condamner la violence. Quelques milliers de sympathisants du parti islamiste ont donné, hier, de la voix sur le boulevard Habib Bourguiba, à Tunis, avec des slogans soutenant leur mouvement. «Le peuple veut reconduire Ennahda», «Le peuple soutient la légalité», «Essebsi rancunier, le RCD ne reviendra pas» et d'autres slogans affirmant leur allégeance à la direction du mouvement dans sa marche pour la réalisation des objectifs de la révolution, notamment la lutte contre la corruption et l'éradication des vestiges du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) des structures de l'Etat. Une connotation violente a caractérisé les slogans de la marche nahdaouie, allant contre son principal thème d'appeler à la lutte contre la violence. Les banderoles et les slogans scandés sont spécialement adressés à l'ancien Premier ministre de la transition, Béji Caïd Essebsi, et à son parti Nida Tounès, qualifié pour être une continuation du RCD. Nida Tounès est donné pour être au coude à coude avec Ennahda dans les derniers sondages d'opinion. Son leader, Béji Caïd Essebsi, est le personnage présidentiable le mieux coté. L'émotion se lisait sur les visages des militants d'Ennahda. «Je voterai encore et toujours Ennahda qui est le meilleur parti en Tunisie. L'opposition ne l'a pas laissé travailler», dit, à la limite du cri, Mohamed Ali, 25 ans, un apprenti menuisier habitant à la cité Ettadhamen. Ses amis du quartier l'ont incité à rejoindre la manifestation. Pour ce jeune, «dans de pareilles conditions, aucun parti politique, pas uniquement Ennahda, n'est en mesure de réaliser les objectifs. C'est pourquoi je leur donne encore une fois raison et j'ai confiance». Par contre, Leïla, une jeune non voilée de 18 ans, était venue pour accompagner ses amies de la cité El Khadhra. «Une estafette est venue pour nous emmener à Tunis, mes amies et moi», a-t-elle raconté. Plusieurs navettes ont été effectuées à partir de plusieurs quartiers de la capitale. «Il est clair qu'Ennahda panique et que ses dirigeants veulent rappeler que leur mouvement peut encore mobiliser», constate Samir, 42 ans, un employé de librairie sur l'avenue Bourguiba. Toutefois, «ils ne sont pas plus de 3000 ou 4000 manifestants. Donc, Ennahda ne fait pas vraiment peur», déclare-t-il. Tractations Après les obsèques grandioses, avant-hier, de Chokri Belaïd, marquées par la présence de plusieurs dizaines de milliers de sympathisants de l'opposition et de citoyens ordinaires venant dénoncer la violence politique, la manifestation d'Ennahda est venue pour soutenir la position de ses leaders dans les tractations en cours sur le remaniement gouvernemental. Si l'on s'en tient aux slogans scandés hier, plutôt violents, les manifestants descendus veulent soutenir la ligne de Rached Ghannouchi, qui n'est pas vraiment à la recherche d'un consensus avec l'opposition. Pourtant, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, maintient son discours de former un gouvernement de technocrates, même après le refus des dirigeants de son parti. Certes, en quelques semaines, tous les regards sont tournés vers la énième session du conseil de la choura d'Ennahda, qui se tient aujourd'hui, pour voir la réaction officielle du mouvement à la proposition de son secrétaire général, Hamadi Jebali. Observateurs et analystes spéculent sur les scénarios possibles pour sortir de cette impasse. Ils sont toutefois quasi unanimes à dire que si le conseil de la choura rejette la proposition de Jebali et si ce dernier maintient son projet, l'idée d'une motion de censure déposée par le bloc d'Ennahda contre le prochain gouvernement n'est pas à écarter. Dans ce cas, adieu le consensus et bonjour les dégâts. Nul n'est en mesure de dire si cette motion de censure passera ou cassera. Le plus grand bloc à l'Assemblée sera divisé en deux sous-blocs. On parle d'une soixantaine de membres pour les faucons de Ghannouchi et d'une trentaine de membres pour les colombes de Jebali. Tous les autres blocs de l'Assemblée sont pour la proposition de Hamadi Jebali, sauf le CPR et Wafa. Or, ces deux blocs ne rassemblent que moins de 30 voix. La motion de censure ne passerait donc pas. Mais une telle situation entraînerait une véritable cassure au sein d'Ennahda, ce qui n'est pas vraiment envisagé par Hamadi Jebali, plutôt incliné au consensus. Au milieu de ce blocage, Hamadi Jebali a déclaré hier aux médias que la présentation de son nouveau gouvernement ne saurait dépasser jeudi prochain. Le chef du gouvernement a donc encore mille tours dans son sac. Saura-t-il réussir son pari ?