Bien que non agréé officiellement, le Mouvement Fidélité et Justice (MFJ) Wafa a fait et fait encore parler de lui. D'abord grâce au charisme de son leader, Ahmed Taleb-Ibrahimi, plusieurs fois ministre sous Boumediène, et une des personnalités les plus en vue du personnel politique national. Ensuite, parce que ce parti, fondé en 1999 par M. Taleb-Ibrahimi pour capitaliser la sympathie populaire que lui avait témoigné le peuple lors de la campagne pour la présidentielle d'avril de la même année, est frappé étrangement et à ce jour du sceau de l'interdit. Il n'est donc pas question ici de voyager dans les dédales d'une formation politique qui n'a aucun point de chute. Le propos étant seulement de revenir sur les péripéties d'un Wafa mort-né et sur le comment du pourquoi elle n'a pas trouvé grâce aux yeux du pouvoir. Quand, le Ramadhan dernier, nous avons sollicité M. Taleb-Ibrahimi, qui nous accueillait chez lui, de nous dire ce qu'il pense de la démarche de M. Bouteflika, il répliqua ceci : « Prenons un thé et discutons entre nous et c'est tout. » M. Taleb-Ibrahimi pèse ses mots. Il ne veut pas se mouiller dans le débat politique pour la simple raison qu'il n'en est pas un, d'après lui. « Je ne veux pas donner l'illusion qu'il y a une vie politique dans ce pays au risque que cela soit exploité par ce pouvoir. » Dans le salon de sa villa située en face du consulat de France à Hydra, M. Taleb-Ibrahimi est ceinturé de milliers de livres. Vous y croiseriez Voltaire, Marx, Ben Badis, Ibn Taymia, Sartre ou encore Montesquieu et Malek Bennabi. L'homme lit beaucoup. Il écrit autant. Le premier tome de ses mémoires qui retrace son parcours depuis la révolution jusqu'au coup d'Etat de 1965 sera d'ailleurs dans les librairies la semaine prochaine. Le brillant médecin a su allégrement marier la politique, la littérature et la philosophie. Une mine de savoir en somme. A défaut de structurer son parti comme il l'aurait voulu, « j'essaye de me rendre utile », dit-il en parlant de ses mémoires. S'agissant de Wafa, sa religion semble être faite que ce pouvoir n'en veut point. Il est loin cependant de faire son deuil. « J'attends », affirme-t-il, placide. L'attente se fait néanmoins longue, très longue. Sept années après la publication dans le Journal officiel n°64 daté du 15 septembre 1999 du récépissé de dépôt de la demande d'agrément, Wafa n'a toujours pas droit de cité dans le paysage politique national. Pourtant, tout avait bien commencé avec Abdelmalek Sellal, alors ministre de l'Intérieur, qui avait normalement traité avec les promoteurs de Wafa, lui permettant de tenir son congrès constitutif les 16 et 17 décembre de la même année. Puis vint Nouredine Yazid Zerhouni... Commencèrent alors les mauvaises surprises, les blocages et les louvoiements qui aboutiront plus tard à une interdiction d'activité politique à un parti inédite dans les annales juridiques algériennes. M. Zerhouni annonce la couleur juste au lendemain de sa désignation comme premier policier du pays. Après avoir demandé aux responsables de ce parti de patienter le temps pour lui d'étudier le dossier, le nouveau ministre de l'Intérieur assénait, quelques jours plus tard, qu'il n'était pas concerné par un dépôt d'une demande d'agrément qui a eu lieu juste à la veille de son installation. Zoom sur l'ex-futur parti Les présomptions de M. Taleb-Ibrahimi sur l'attitude de M. Zerhouni allaient se confirmer quand les services de ce ministère eurent été instruits de ne pas répondre aux dirigeants de Wafa par téléphone, ni de recevoir un quelconque document via le bureau d'ordre. Ces péripéties étaient vécues alors même que les trois enquêtes d'habilitation qui devaient être déclenchées par la police, la gendarmerie et la Sécurité militaire (le DRS) pour vérifier le parcours des membres de la direction nationale de Wafa n'étaient pas encore lancées. Pourtant, le même ministère, avec Abdelmalek Sellal à sa tête, n'avait rien trouvé à redire sur le parcours des 40 membres fondateurs du parti ni formulé une quelconque objection sur le contenu de son programme politique six mois plus tôt. La cause semblait donc entendue pour M. Taleb-Ibrahimi qui, deux mois après le dépôt du dossier d'agrément, décide de proclamer la naissance de Wafa, le 27 février 2000, même sans le précieux document. Et au regard de la loi, il était dans son bon droit. Pour cause, l'article 22 de la loi organique sur les partis dispose clairement que la non-publication de l'agrément au JO dans les 60 jours suivant le dépôt du dossier implique ipso facto son acceptation. Mais c'était compter sans la détermination de Yazid Zerhouni de mener la vie dure à M. Taleb-Ibrahimi et de déclarer son parti non grata. Le dossier en béton de Wafa étant inattaquable, le ministre, comme pris de court, multipliait les contradictions dans ses déclarations sur les raisons du refus d'accorder l'agrément à ce parti. Le 4 mars 2000, le ministre estimait, à tort, devant les journalistes qui l'interrogeaient en marge d'une session de l'APN que « Wafa ne disposait pas de récépissé de dépôt de son dossier et qu'il doit fournir un autre ». Le 10 mai, il abandonne cet argument juridique spécieux pour un lynchage politique. « Je ne suis pas celui qui va signer le retour du parti dissous ! », asséna-t-il, sentencieux, devant les journalistes. Le verdict politique est donc lâché. Quant à celui juridique, les dirigeants de Wafa l'attendent à ce jour... M. Zerhouni, qui a donc manifestement privilégié la loi de la force en lieu et place de la force de la loi, a bouclé la boucle, le 5 novembre de la même année, en soutenant que « Wafa n'existe pas ! ». Le comble dans cette histoire est que le ministre n'a pas jugé utile de motiver juridiquement et administrativement l'irrecevabilité du dossier Wafa, au mépris des procédures légales qu'il était censé lui-même dicter, ne serait-ce que pour sauver les formes. « Le danger et l'arbitraire » En revanche, la machine répressive ne tarda pas à se mettre en branle pour tuer dans l'œuf ce parti où qu'il pointe le nez en Algérie. Le 22 mai, M. Zerhouni instruit les walis de convoquer les propriétaires des locaux de Wafa afin qu'ils retirent les enseignes portant les deux syllabes. Les services de police prennent aussitôt les choses en main en procédant à l'arrachage de ces enseignes, à la convocation et à l'interrogatoire des préposés aux bureaux locaux du parti. Même le siège central du parti à Alger fut « visité » de nuit et des documents subtilisés, d'après les responsables de ce parti, qui avaient déposé une plainte auprès du procureur de la République. Rien n'y fit. La manière forte a eu raison de la témérité de M. Taleb-Ibrahimi, qui voit son parti fondre à la vitesse de la fermeture de toutes ses permanences et à la mise sous scellés de son siège national sans aucune décision de justice. Le ministre de l'Intérieur rouvre un front politique contre Wafa pour le vouer à la vindicte populaire. Ainsi, il avait déclaré que 46 membres de son conseil central étaient des Fisistes et le reste des sympathisants. Que son sigle est celui d'une radio clandestine du parti dissous est que l'agrément de ce parti constituait « un danger pour l'ordre public ». M. Taleb-Ibrahimi dément pièce par pièce les allégations de M. Zerhouni devant la presse nationale par des arguments matériels irréfutables. Néanmoins, ni les différentes correspondances adressées au président Bouteflika, à ceux de l'APN et du Sénat, au chef du gouvernement (Ali Benflis) n'ont pu changer quoi que ce soit. Seuls quelques documents retraçant les péripéties de Wafa entretiennent aujourd'hui l'espoir de M. Taleb-Ibrahimi et son bras droit Mohamed Oussaïd de pouvoir, un jour peut-être, obtenir cet agrément. Mais certainement pas avec M. Zerhouni comme ministre de l'Intérieur. Le dossier d'agrément de Wafa ne souffre juridiquement d'aucune contestation. La presse et les autres partis politiques qui ont suivi les péripéties de ce parti ont pratiquement tous dénoncé l'arbitraire du ministère de l'Intérieur même s'ils ne partageaient pas forcément les références politico-idéologiques de M. Taleb-Ibrahimi. Y a-t-il donc un problème personnel entre ce dernier et M. Zerhouni ? Des indiscrétions confient qu'un vieux contentieux oppose les deux hommes depuis plus de 20 ans, quand M. Taleb-Ibrahimi, alors ministre des Affaires étrangères, était le supérieur de M. Zerhouni, qui fut ambassadeur à Mexico. Nos sources précisent que l'actuel ministre de l'Intérieur a tenu rancune à M. Taleb-Ibrahimi au point de faire du dossier Wafa une affaire personnelle. Une hypothèse très plausible en ce sens que les correspondances et les communiqués du parti de M. Taleb-Ibrahimi invitent souvent le ministre à faire « la différence entre ses désirs personnels et les impératifs liés à sa fonction ». Ayant compris sa douleur qu'il ne pouvait pas compter sur son parti toujours interdit, M. Taleb-Ibrahimi a tenté de casser le verrou du pouvoir en avril 2004 en se présentant pour la seconde fois à la présidentielle. Avec ses 94 500 signatures réparties sur 27 wilayas, M. Taleb-Ibrahimi est allé lui-même déposer les paraphes dans un box à Club des pins, comme tous les autres candidats. Quelle ne fut sa surprise de découvrir à l'expiration des délais, par le biais du Conseil constitutionnel, qu'il n'avait pas réussi à rassembler les 75 000 signatures requises. Entre temps, il apprend que le cadenas de son « box », le seul d'ailleurs, a sauté à... 2h du matin. Curieux ! Mohamed Bedjaoui, l'actuel ministre des Affaires étrangères, avait alors présenté un argument qui sans doute fera date pour son aspect risible : « C'est l'air marin qui a fait sauter le cadenas ! » Ironie de l'histoire, ce candidat, qui a récolté sans participer en 1999 plus d'un million et demi de voix, n'a pu, cette fois, franchir le cap des 75 000 signatures ! Résultats des comptes : pas d'agrément pour Wafa et pas de candidature à la présidentielle pour son fondateur. M. Taleb-Ibrahimi prend, depuis, son mal en patience et attend que M. Bouteflika veuille bien agréer son parti. Jusqu' à quand ? « Nous sommes attachés à notre droit constitutionnel quel qu'en soit le prix. »