Sa tentative de former un gouvernement de technocrates a été un échec. Le chef du gouvernement tunisien, Hamadi Jebali, a fini par rendre le tablier. Il a présenté hier sa démission au président de la République, Moncef Marzouki, qui l'a chargé de veiller aux affaires courantes en attendant de faire les consultations nécessaires en vue de former un nouveau gouvernement. De notre correspondant en Tunisie Comme le stipule l'organisation provisoire des pouvoirs, le président Marzouki convoquera le président d'Ennahda, Rached Ghannouchi, dont le parti est le plus représenté à l'ANC, pour qu'il charge quelqu'un de diriger le gouvernement. Ghannouchi a, certes, dit que Hamadi Jebali est toujours le candidat pour former un autre gouvernement. Mais attendons de voir comment se présente la situation politique en Tunisie. Deux semaines après le lancement de l'initiative de Jebali de former un gouvernement de technocrates, l'idée a certes foiré, mais est-elle parvenue à amortir l'onde de choc créée par l'assassinat de Chokri Belaïd ? Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a pris tout le monde de court en annonçant son initiative de gouvernement de technocrates, le 6 février, au soir de l'assassinat de Chokri Belaïd. Il avait alors promis de composer une équipe restreinte. M. Jebali s'était même engagé à ce que les membres de sa nouvelle équipe gouvernementale ne soient pas éligibles aux prochaines échéances électorales, accordant ainsi une entière satisfaction aux exigences des partis de l'opposition qui avaient, pourtant, hésité avant de soutenir ce projet, considérant que c'était «trop beau pour être vrai», comme l'a souligné le dirigeant de Nida Tounès, Mohsen Marzouk. Nul doute que l'initiative de Hamadi Jebali a créé un remue-ménage aussi bien au sein de son parti, chez ses alliés de la troïka et dans les partis de l'opposition. Elle a même brouillé les alliances sur le terrain. Mais, le fait qu'elle ait accaparé l'attention de l'opinion publique constitue en soi une réussite. Le pays aurait pu basculer dans le chaos surtout que la stabilité était loin de constituer son point fort. Donc, alors que cette initiative touche à sa fin, il est plausible de s'interroger sur son impact sur la scène politique, voire si l'on pose autrement la question : quel impact l'assassinat de Chokri Belaïd a-t-il laissé sur la scène sociopolitique ? Selon la lecture de l'universitaire tunisien Hamadi Redissi, «l'initiative dans la vie politique tunisienne était entre les mains des islamistes d'Ennahda qui dominent les institutions de l'Etat, notamment l'Assemblée nationale constituante et le gouvernement de la troïka». Toujours selon Redissi, l'opposition était divisée : «Seule l'initiative de l'ancien Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, de réunir les partis de l'opposition au sein de l'Union pour la Tunisie pourrait constituer une alternative sérieuse.» Et de souligner que «ce n'est pas par hasard qu'Ennahda hait ce vieux routier de la politique qui a trouvé le mélange savant adéquat pour réunir l'opposition». Alliances en mouvement Redissi poursuit la première partie de son analyse en constatant que «l'assassinat de Belaïd a offert à l'opposition démocratique le symbole qui lui manquait pour la réunir». «Si les masses imposantes qui sont descendues aux funérailles de Belaïd ont scandé des slogans anti-Ghannouchi et anti-Ennahda, c'est parce qu'elles associent les échecs dans la réalisation des objectifs de la révolution à ce personnage et ce parti», a précisé Redissi. A travers cette démonstration de force dans la rue, l'opposition a repris l'initiative des mains d'Ennahda. En face, la troïka gouvernante chancelait, selon Redissi. Elle était déjà en difficulté puisque les deux alliés des islamistes d'Ennahda n'étaient pas au mieux de leur forme. Le CPR, parti historique du président Marzouki, s'était déjà scindé en deux avec la formation du bloc Wafa de Abderraouf Ayadi. Le CPR n'a plus que 14 membres à l'ANC, alors qu'il en avait 29 au soir des élections du 23 octobre 2011. Même chose du côté d'Ettakattol du président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar, il n'a gardé de son bloc que 11 membres alors qu'ils étaient 20. Les islamistes cherchaient donc, en vain, à élargir l'alliance gouvernante. L'assassinat de Chokri Belaïd et l'initiative de Jebali ont donc constitué l'onde de choc nécessaire pour amortir un changement de cap de la part d'Ennahda. Hamadi Jebali a certes saisi l'occasion au vol et lancé son initiative. L'universitaire s'interroge toutefois jusqu'où peut aller Jebali pour contrer les aigles d'Ennahda qui ne veulent rien laisser aux autres partis politiques, alors que l'essence de cette initiative consiste à partager. Toutefois, avec cette décision de Jebali, la scène politique risque de connaître des tractations très serrées en vue de recomposer les alliances au sein du gouvernement. Tout dépendra, encore une fois, des largesses des islamistes d'Ennahda. S'ils consentent à «libérer» les ministères de souveraineté (Intérieur, Justice et Affaires étrangères), une alternative serait possible avec l'opposition démocratique. Mais oseraient-ils aller jusque-là ?