Moins d'une semaine après l'échec du ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, de réanimer le projet du traité d'amitié devant être signé avec l'Algérie, Condoleezza Rice exhibe devant les caméras l'autre traité d'amitié paraphé voilà plus de deux siècles (1795) entre la régence turque d'Alger et les autorités américaines. Loin d'être une simple coquetterie politique, ce geste symbolique de la secrétaire d'Etat des Etats-Unis, qui remettait mercredi 12 avril une copie de ce fameux traité à son homologue algérien Mohamed Bedjaoui, est quelque part un pied de nez à la France qui, elle, peine à convaincre Alger. Nous avons réussi il y a longtemps là où vous venez d'échouer, semble suggérer ce message de Condoleezza Rice, qui s'adresse à la France. C'est qu'aux yeux des Américains, il n'y avait pas meilleure façon de clore une visite officielle du ministre algérien des AE quelques jours seulement après la fin en queue de poisson de M. Douste-Blazy à Alger. Le souci de Washington de narguer diplomatiquement Paris est évident. Que France 3 évoque dans son journal de jeudi soir le crochet américain de Bedjaoui et qu'elle remette au goût du jour la question de l'impunité liée à l'application de la charte pour la réconciliation pour faire pression sur Alger est tout à fait attendu. Sans doute, sevrées de la froideur de l'Algérie par rapport au paraphe « ici et maintenant » du traité, les autorités françaises, par doses homéopathiques, entament une campagne médiatique, qui ne plairait pas forcément à Alger. Une espèce de guerre psychologique qui, espèrent-il, ferait revenir l'Algérie à de meilleurs sentiments. Cela étant dit, s'il est vrai que la France et l'Algérie, de par l'histoire et la géographie, ne peuvent se tourner indéfiniment le dos, il est tout aussi vrai que l'Algérie, financièrement à l'aise, voudrait se payer une cure d'opposition à la France chez l'Oncle Sam, ne serait-ce que pour pousser Paris à balayer devant sa porte. En l'occurrence, les questions de la libre circulation des biens et des personnes, le lourd passif colonial et le soutien de Paris à Rabat dans l'affaire du Sahara-Occidental ne sont pas de nature à détendre l'atmosphère entre les deux pays, mais surtout à rassurer Alger sur les futures intentions de Paris. Le rapprochement stratégique de l'Algérie avec les Etats-Unis, bien qu'il cadre parfaitement avec l'option multilatérale de partenariat qu'elle a adoptée, n'est pas une manière de suggérer à la France de revoir sa copie. Cela irrite sans doute, et au plus haut point, Paris qui s'accroche à ce qu'elle considère comme une « chasse gardée ». « J'ai tiré comme conclusion de ce voyage qu'il aura été tout à fait fructueux, et qu'il permet d'entrevoir encore de belles perspectives, notamment sur les plans économique, diplomatique, sécuritaire, militaire et politique ». Cette déclaration de Mohamed Bedjaoui, de retour de Washington, fera certainement les choux gras de la presse hexagonale si friande dès qu'il s'agit de l'Algérie. D'autant plus que le ministre des AE a mis l'accent sur la prise de conscience des Américains de la nécessité pour les opérateurs économiques d'identifier les niches d'opportunité en Algérie pour diversifier les échanges bilatéraux et leur donner plus d'étendue, mais aussi de durée et de pérennité. Le chassé-croisé diplomatique entre Alger et Washington est donc loin de relever du tourisme politique, mais dénote d'une réelle volonté de resserrer les liens autour des intérêts profitables aux deux pays. La preuve ? Condoleezza Rice et Mohamed Bedjaoui se sont accordés sur la nécessité « d'élargir la concertation en lui donnant surtout un socle juridique et ouvrir la coopération bilatérale à l'ensemble des secteurs où les deux pays possèdent des complémentarités avérées dans l'optique d'un intérêt mutuellement bénéfique ». La volonté de l'Algérie de s'émanciper diplomatiquement de la mainmise française constitue la pierre angulaire de la politique étrangère de Bouteflika, qui privilégie désormais l'approche pragmatique à celle historique.