Les déclarations du locataire du Quai d'Orsay, empreintes de diplomatie et volontairement optimistes, tranchaient avec celles de Mohamed Bedjaoui pour qui beaucoup de chemin reste à parcourir pour donner vie au traité. Le patron de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, a regagné hier la France les mains vides ou presque. Venu en Algérie pour une visite officielle de deux jours dans l'espoir de réanimer le projet de traité d'amitié entre l'Algérie et la France, en panne depuis l'adoption par le Parlement français, le 23 février 2005, d'une loi vantant “le rôle positif” de la colonisation, il repart bien bredouille, n'ayant pas réussi à convaincre les Algériens d'y aller plus vite. La conférence de presse animée conjointement par MM. Philippe Douste-Blazy et Mohamed Bedjaoui, hier à Djenane El-Mithaq (Alger), illustre bien le peu d'empressement des Algériens à accéder dare-dare au vœu du président Chirac de signer au plus vite ce traité. Enhardi certainement par l'audience de plus de deux heures et demie que venait de lui accorder le président Bouteflika, présentée comme un témoignage “d'un respect vis-à-vis du président Chirac et du gouvernement français”, mais aussi un signe “d'amitié vis-à-vis de la France”, Douste-Blazy clame : “Le travail est aujourd'hui bien avancé et il se poursuit ; je pense que nous nous approchons peu à peu du but.” Optimiste, il annonce que “le temps est venu de se tourner vers le futur sans oublier le passé”, tout en prônant “un changement d'attitude” à même d'amener les deux pays à contracter “une nouvelle forme de partenariat en se donnant un objectif partagé et lucidement fixé”. Son enthousiasme est vite démenti par un Bedjaoui assez flegmatique qui, rompant avec la retenue connue aux diplomates, a usé d'un ton franc, voire même tranchant. S'il assure son vis-à-vis français de l'“attachement de l'Algérie à la signature de ce traité d'amitié”, il ne recommande pas moins de ne pas aller plus vite que la musique. Bien plus, il reconnaît qu'“il y a encore des difficultés dont il faut tenir compte”. De l'épisode de l'adoption de la loi du 23 février, en reprochant, insidieusement, au passage, aux Français d'avoir fait perdre une année à la préparation du traité d'amitié, Mohamed Bedjaoui tire le constat suivant : “L'opinion publique française n'est pas tout à fait prête à la conclusion de ce traité.” Et de recommander une profonde préparation de l'opinion publique des deux pays car “ce n'est pas un traité banal” qu'espèrent les Algériens, mais plutôt “une refondation des structures de la relation entre les deux pays”. “ça ne peut pas se faire en un claquement de doigts”, remarque-t-il. Tout en rappelant que l'initiative de la signature est du président Chirac, Bedjaoui assure : “Nous restons fidèles et en harmonie avec la Déclaration d'Alger de 2003. Sans oublier le passé, nous sommes disposés à jeter une relation globale résolument tournée vers l'avenir. C'est un objectif majeur, et nous ferons en sorte que cela entre dans la réalité aussi vite que possible.” Et de faire cette remarque de taille : “Nous voulons la signature d'un traité d'amitié entre les peuples algérien et français, entre nos deux Etats, mais pas d'un traité entre les deux chefs d'Etat.” Même si “les conditions objectives et subjectives, politiques et psychologiques ne sont pas tout à fait propices aujourd'hui”, il n'en demeure pas moins que les Algériens ne perdent “pas du tout patience” en conservant “l'idée que cela devrait aboutir le plus vite possible”. Non sans préciser que “le devoir de mémoire reste central” pour la partie algérienne qui formule le vœu que ce traité puisse aussi s'insérer dans le cadre de “la repentance”, du fait que “le colonialisme est condamné par l'histoire et les hommes”. Même s'il est quelque peu indisposé par le franc-parler de son homologue algérien et surtout par la teneur de ses déclarations, M. Douste-Blazy n'a pas moins essayé de sauver un traité dont la signature semble être bien compromise. “Le peuple français souhaite vivement ce traité d'amitié, car les deux pays sont intimement liés par l'histoire et la géographie. Je vous l'assure”, affirme-t-il . “C'est le cœur qui parle”, ajoute-t-il quelque peu ému. S'il consent qu'il y a lieu de “dissiper les malentendus”, il estime aussi qu'“avec la suppression de l'article 4 de la loi du 23 février, le débat est maintenant clos et qu'il revient aux historiens et aux scientifiques de s'exprimer sur cette question”. Comme pour se convaincre que la partie n'est pas tout à fait perdue, Douste-Blazy lâche : “Nous continuons à travailler plus que jamais à ce traité.” Les principales questions Harkis : Le ministre français des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, ne sacrifie pas les harkis sur l'autel du traité d'amitié entre l'Algérie et la France. Interrogé sur cette question, Il rétorque : “Les harkis sont partie intégrante de la communauté française. Il appartient à l'Etat français d'assumer ses responsabilités à leur égard.” Comme d'autres français, précise-t-il, ils gardent un lien particulier avec l'Algérie. Aussi son souhait est qu'“ils puissent se rendre dignement” en Algérie. Sahara occidental : Invité à livrer la position française sur le projet d'autonomie que le Maroc compte appliquer au Sahara Occidental, M. Douste-Blazy a reconnu l'existence d'“une divergence d'appréciation” avec l'Algérie sur ce dossier. “Après l'échec des différentes formules envisagées qui toutes ont été rejetées par l'une ou l'autre des parties, le Conseil de sécurité (de l'ONU), dont nous sommes membres permanents, a lui-même constaté l'impasse dans laquelle se trouvait le processus politique”, remarque-t-il. Et d'enchaîner : “Nous regrettons profondément cette situation tout en ayant bien conscience qu'il n'existe pas de solution providentielle. Chacun sait que pour être praticable et durable, tout règlement devra être mutuellement acceptable par les parties. C'est d'ailleurs la politique constante du Conseil de sécurité qui a réitéré ce paramètre fondamental dans ses résolutions passées.” Le nucléaire iranien : Le patron de la diplomatie française considère que l'Iran “a droit à l'énergie électro-nucléaire civile à des fins civiles”. Et d'ajouter : “Il faut parfaitement écouter ce que M. El-Baradei, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) dit. Il nous paraît essentiel qu'il y ait une suspension des activités nucléaires sensibles iraniennes comme le demande l'ensemble de la communauté internationale de manière ferme et unie.” Arab Chih