La salle des conférences du grand hôtel Mercure, à Alger, était bondée de monde jeudi dernier. Des sociologues, des linguistes, des enseignants, des syndicalistes, des étudiants et des personnalités politiques ont pris part à la rencontre-débat organisée par le quotidien El Watan. C'était également les grandes retrouvailles. Ali Yahia Abdenour, Mahfoud Kedache, Mokdad Sifi, Amara Benyounès, Hocine Aït Ali, Mustapha Bouadef, Smaïl Hamdani et tant d'autres étaient présents à cette conférence dont les débats étaient souvent houleux. Houleux parce que tous les participants voulaient intervenir pour exprimer leur colère vis-à-vis du marasme régnant dans l'université algérienne. « Peut-on sauver l'université du naufrage ? » était le thème principal de la rencontre animée par quatre professeurs de renom. Ces derniers n'ont pas de recettes miracles à proposer pour sauver l'université de la crise et du profond malaise qui la rongent. Multidimentionnelle, la crise est également complexe. A l'unanimité, les quatre intervenants ont revendiqué l'autonomie de l'université qui ne doit plus être une institution de production de diplômes. Selon eux, l'université a besoin d'une réforme radicale et le système éducatif nécessite une refonte plus profonde. Mme Khaoula Taleb-Ibrahimi, linguiste et professeur à l'université d'Alger, a dressé un tableau peu reluisant de l'état de santé de l'université. Elle l'a qualifiée de territoire de grande illusion où l'on assiste à la prédominance de l'administration sur la pédagogie. Selon elle, la politique de l'arabisation est un échec. « La couche populaire était scolarisée dans les classes arabisées. Par contre, les couches moyennes allaient vers les classes francophones. Il est aberrant d'enseigner en arabe jusqu'en classe de terminale et en français à l'université. Inévitablement, l'étudiant sera perturbé. Nous avons tiré la sonnette d'alarme, on aurait dû opter pour un bilinguisme, c'était l'unique solution, mais... », a-t-elle constaté. Elle s'est interrogée quant au rendement d'un enseignant qui prodigue des cours dans cinq instituts à la fois. « C'est une réalité : il y a des professeurs qui enseignent à l'école des sciences humaines, à Bouzaréah, à Blida, à Tizi Ouzou et à l'Ecole des arts dramatiques de Bordj El Kiffan. Inadmissible ! », a-t-elle dit. Continuant sur sa lancée, elle a rappelé que la plus riche bibliothèque de l'université d'Alger a vu son fonds fondre car beaucoup d'ouvrages ont été volés. Elle a évoqué également la surcharge des amphithéâtres, des salles de classes, où les étudiants grelottent en hiver et suffoquent en été. « En somme, nous travaillons dans des conditions lamentables », dira la conférencière. Le taux de réussite au bac fixé en conseil de gouvernement ! Abdesselam Ali Rachedi, professeur de médecine, ancien directeur de la faculté de médecine d'Alger, a réfuté dans son intervention le terme naufrage. « Je n'aime pas le mot naufrage, car j'ai de l'espoir », a-t-il lancé, en précisant qu'il n'est plus opérationnel au sein de l'université. Initiateur du projet relatif à l'autonomie de l'université, M. Rachedi a révélé à l'assistance que le taux de réussite au bac se décidait en pleine réunion du conseil de gouvernement. Chahut dans la salle. Les participants étaient ébahis. M. Rachedi, ex-ministre de l'Enseignement supérieur, reconfirme ses propos : « C'est la vérité. Si par le passé cette information était un secret, aujourd'hui elle ne l'est plus. » Manière, pour lui, de démontrer que le secteur de l'enseignement supérieur n'a jamais figuré parmi les priorités des pouvoirs publics. Concernant le projet de l'autonomie, M. Rachedi a précisé que son équipe n'a rien inventé. « Lorsque les pouvoirs publics commençaient à parler de l'autonomie des entreprises, un groupe de réformateurs s'est penché sur la question de l'autonomie de l'université d'autant plus que toutes les universités qui se respectent sont autonomes », a-t-il expliqué en critiquant les enseignants qui ont rejeté le projet. « Les étudiants étaient compréhensifs et ont accepté notre projet. Cependant, la réticence est venue des enseignants qui craignaient la fin de la rente. Face à cette situation, le projet n'a pas eu de suite. » Pour ce qui est de l'arabisation, M. Rachedi partage la même vision que Mme Khaoula et va seulement plus loin dans sa pensée soutenant que « ce sont les ministres francophones qui ne pouvaient pas aligner une phrase en arabe qui ont décidé d'arabiser l'école algérienne. L'arabisation s'est imposée de manière autoritaire ». Les autres erreurs qui ont conduit à la régression de l'université sont multiples, notamment l'omniprésence des services de sécurité en uniforme et en civil à partir des années 80 dans les campus. « Si on ne respecte pas les franchises universitaires, il ne peut y avoir de démocratie. Nous avons tracé un schéma pour la réhabilitation de l'université, il était question que celle-ci s'organise librement à l'échelle nationale, nous avons demandé la non-implication des hauts responsables dans la gestion de l'université... En vain », a soutenu l'orateur, qui est persuadé qu'aujourd'hui si on veut remettre l'université sur les rails, il faut une réforme sérieuse. Mohamed Ghlamallah, sociologue, chargé de cours à l'université d'Alger, a restitué, pour sa part, le processus de développement de l'université et sa dimension historique. De son côté, Aïssa Kadri, sociologue, professeur à l'université d'Orléans-Tours, a relevé qu'il faut aujourd'hui réfléchir sérieusement à l'université, qui est un champ de savoir. Pour l'orateur, la solution n'est ni morale ni éthique, mais plutôt politique.