Le forum mensuel, Les Débats d'El Watan, qui s'est tenu jeudi dernier à l'hôtel Hilton d'Alger, aura tenu ses promesses par sa thématique, ses invités de marque, son public et les riches débats engagés. C'est autour du thème « Le savoir et le pouvoir : quels régimes de vérité pour la cité ? » que Ali El-Kenz, sociologue et professeur à l'université de Nantes, ainsi que Pierre Favre, politologue français et professeur émérite des universités, ont tenté d'expliquer les rapports historiques entre le pouvoir, les intellectuels et la force de l'argent dans la définition des systèmes. Ainsi, de Socrate (Ve siècle avant J.-C.) à Ibn Rochd (Averroès, 1126-1198) en passant par Martin Luther (1483-1546), les rapports entre le savoir et le pouvoir, selon les deux conférenciers, étaient souvent compliqués et conflictuels. « Que ce soit en Algérie ou ailleurs, le pouvoir politique intervient pour modeler la recherche scientifique », a souligné Ali El-Kenz. Soumise dès le début aux injonctions politiques, la science subit de nos jours d'autres formes de pression émanant cette fois-ci du pouvoir de l'argent. La recherche de la vérité à travers la science est, selon le sociologue Ali El-Kenz, influencée, voire parasitée par le pouvoir de l'argent. « Depuis quelque temps, il y a l'intervention du facteur de l'argent, sous forme d'injonctions et de pressions, dans la recherche scientifique », a-t-il expliqué en citant l'exemple de la mise sous haute surveillance des sciences sociales par le pouvoir politique en Algérie. Intervenant habituellement à contresens des idées dominantes en vue d'enclencher des changements, les savants et les intellectuels sont souvent persécutés et mis sous le boisseau par le pouvoir politique. Toutefois, la relation entre ce triptyque, pouvoir-savoir-force de l'argent, est caractérisée aussi par l'ambivalence et l'influence mutuelle. C'est le cas, selon l'orateur, de l'Afrique du Sud où l'expertise des Blancs influence le pouvoir des Noirs. « C'est l'emprise du scientifique sur le politique », a-t-il martelé en concluant qu'« il y a toujours du savoir dans le pouvoir, comme il y a du pouvoir dans le savoir ». Pour sa part, Pierre Favre a axé son intervention sur le politologue et le sens de la neutralité en science. La thématique a suscité un intérêt particulier chez l'assistance composée d'hommes politiques, tels que Mokdad Sifi, ancien chef du gouvernement, et Karim Younes, ancien président de l'APN, et Ali Yahia Abdennour, avocat et ex-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH). La salle de conférence, l'Algerian Business Center de l'hôtel Hilton, a drainé un public certes nombreux, mais connaisseur. Des politiques, des chercheurs, des enseignants et… des étudiants, avides de ce genre de rencontres, ont suivi les discussions avec beaucoup d'attention. Les deux conférenciers ont eu à répondre à de nombreuses questions sur le rapport complexe entre le pouvoir et le savoir, notamment en Algérie. Les questions de neutralité des scientifiques, l'influence des peuples sur le politique… ont été clarifiées par les deux hommes. L'intervention de Ali Yahia Abdennour entre le pouvoir et le savoir en Algérie n'est pas passée inaperçue. « En Algérie, la triptyque essentielle est conçue ainsi : il y a d'abord le pouvoir qui donne l'avoir (argent) pour manipuler le savoir », a-t-il lancé, suscitant des éclats de rire dans la salle. Le forum du quotidien El Watan, qui vient de fêter son premier anniversaire, donne rendez-vous à son fidèle public pour d'autres débats riches et constructifs.