Le corps emmitouflé dans son louabri (burnous en poils de dromadaire), le regard éteint, Khaled n'aurait jamais imaginé, dans ses pires cauchemars, une telle vie. Des corps inertes s'alignent le long du mur de la Banque extérieure d'Algérie (BEA), fermée depuis plusieurs mois pour travaux. Si certains SDF se couvrent de quelques cartons, d'autres, moins nombreux, ont pu dégoter un matelas et une couverture. D'autres encore se réfugient dans les halls d'immeuble, avec le risque d'être malmenés par les locataires. Des SDF professionnels, des jeunes désargentés venus pour affaire à Alger, des drogués sans famille, des expulsés sans attache se réunissent sous les arcades du boulevard Amirouche. «La présence des policiers du Central rassure. Ces gens préfèrent s'installer là la nuit. Les mendiants, qui se font un petit pactole le jour, sont protégés contre les agresseurs mais aussi contre le froid qui rompt les os», signale Slimane, quinquagénaire résidant rue Lulli, parallèle au boulevard. Un groupe de personnes jouent aux dominos, un bekradj de thé posé sur un brasero à portée de la main. Une fine pluie tombe, en ce début de soirée, sur le bitume gorgé d'eau. Les pneus des véhicules crissent sur le macadam. Plusieurs personnes se retrouvent, le soir, sur ce boulevard, mais ne se côtoient presque jamais. Le corps emmitouflé dans son louabri (burnous en poils de dromadaire), le regard éteint, Khaled n'aurait jamais imaginé, dans ses pires cauchemars, une telle vie. Diplômé en plomberie, frais émoulu d'un CFPA de Djelfa, Khaled, la vingtaine à peine entamée, est venu début novembre dernier «tenter sa chance» à Alger. «J'ai bossé durant deux jours avec un gars dans une villa à Hydra. Le propriétaire, qui a consenti à nous laisser dormir sur le chantier a voulu confisquer ma carte d'identité. Devant mes protestations, il m'a mis dehors. Après, j'ai squatté une carcasse à El Harrach, mais le comportement de certains m'a fait quitter ce cagibi», raconte Khaled, la tête dans son burnous couleur de terre. Venu chercher du boulot, Khaled s'est coupé de sa famille. Sans portable pour joindre les siens ni parent à Alger, l'enfant d'El Hania, ne veut pas retourner sans argent dans son village. «Je suis obligé de rester un moment à Alger. Sans argent, je ne peux pas rentrer chez moi à Messaâd. Et puis, je ferais quoi là-bas ? Je serais tout juste une charge pour mes parents aveugles», lâche-t-il. Ce «SDF occasionnel» déplore la situation chez lui. «Les pistonnés s'en sortent bien à Messaâd et à Djelfa. Je ne veux plus y remettre les pieds. Je suis malheureux, mais je résiste. Un ami m'a proposé de m'héberger dans un garage loué à Belcourt, mais il m'a demandé de participer aux frais. Sans boulot, je ne peux pas m'engager», avoue-t-il. Se faire embaucher sur un chantier de BTP à Alger n'est pas une sinécure pour un jeune débarqué. «Je suis parti sur un chantier à Aïn Benian. Mais sans recommandation, tu ne peux rien entreprendre», regrette-t-il. Alger-Centre devient le point de chute des sans-abri en cet hiver rigoureux. Les quartiers de Sidi M'hamed accueillent cette faune d'humains désemparés, sans attache et sans soutien. Malha s'est installée dans le quartier de Mustapha depuis quelques mois. «Je fais le ménage chez des femmes et je suis aussi concierge au Télemly. Mais avec le peu d'argent que je gagne, je ne peux pas espérer trouver une location avec ma sœur handicapée. Des personnes charitables me donnent à manger à la sortie de la prière d'el îcha», raconte cette femme d'une quarantaine d'années au visage poupin. Cohabitation impossible ! La cohabitation devant la mosquée Errahma n'est pas facile. «J'ai préféré abandonner cet endroit et me réfugier à proximité de l'hôpital. Le soir, il m'arrive de m'assoupir sur un banc, au pavillon des urgences. Je fais la malade et personne parmi les agents de sécurité ne me gêne. Il y fait chaud et personne ne vient me déranger», confie-t-elle, une lueur dans les yeux. Des personnes préfèrent dormir dans la salle d'attente des urgences du CHU Mustapha et autres établissements hospitaliers de la capitale. D'autres se réfugient dans les cybercafés. «Je préfère passer la nuit dans un cyber. Mais avec la nouvelle réglementation, le gérant ferme tôt. Alors je dors dans le hall d'un immeuble. Les résidents, qui ont signalé ma présence aux policiers, ont fini par accepter ma présence», signale Dahmane, qui affirme avoir déjà loué à Bab El Oued, mais que «sans travail bien rémunéré» il ne peut pas avoir un toit. Cuisinier dans un restaurant universitaire, Dahmane a aussi squatté une chambre universitaire désaffectée, mais en a été délogé par les agents de sécurité. L'aide aux SDF s'organise petit à petit. Des jeunes s'y sont mis avec quelques succès. Des repas chauds sont distribués, grâce au réseau social facebook. Mais ces actions ne sont pas pérennes.