Dans Les Chevaux de Dieu, le cinéaste marocain Nabil Ayouch évoque, sans réécrire l'histoire, les raisons des attentats meurtriers de 2003 à Casablanca. Ouagadougou De notre envoyé spécial Le radicalisme islamiste est à la mode dans le cinéma maghrébin. Après Making off et Beautés cachées du Tunisien Nouri Bouzid, Parfums d'Alger de l'Algérien Rachid Benhadj, le Marocain Nabil Ayouch plonge, lui aussi, dans ce vaste territoire à plusieurs trous. Dans Ya khil Allah (Les chevaux de Dieu), en compétition officielle au 23e Festival panafricain de cinéma et de télévision (Fespaco), projeté, lundi soir devant un public nombreux à la salle Burkina de Ouagadougou, le cinéaste tente de comprendre les raisons profondes des attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca. A cette date, une douzaine de kamikazes, venus d'un bidonville, s'étaient attaqués au restaurant Casa de Espana, à un cimetière juif, au consulat de Belgique et à un bâtiment de l'Alliance israélite. Une quarantaine de personnes ont trouvé la mort lors de cette série d'attentats qui, pour Nabil Ayouch, visaient «la destruction» de la diversité culturelle du Maroc. Le réalisateur de Ali Zaoua est retourné sur les lieux ressemblant aux «décors» de son précédent film (sorti en 2001, Ali Zaoua a représenté le Maroc aux Oscars) pour suivre le quotidien difficile du bidonville de Sidi Moumen. Là, dans une insouciance totale, des enfants jouent au football sur un terrain vague, comme la vie future qui les attend. La caméra les suit à ras de terre, puis en hauteur, dans leur course vers le quartier misérable. Les enfants lâchent des gros mots comme des crachats de sang. Vite, on comprend que les uns sont des caïds en puissance, d'autres condamnés à la soumission, d'autres encore à la violence. C'est un univers où tous les coups sont permis. Les enfants sont les premières victimes de l'absence de repères et de la désarticulation sociale. A l'âge adulte, les stigmates sont là, apparents. La caméra psychologique de Nabil Ayouch pénètre le monde intérieur de deux frères, Hamid et Yacine (Abdelilah Rachid et Abdelhakim Rachid). L'un est emprisonné pour affaire de drogue, l'autre tente de gagner sa vie en vendant des oranges. Le père souffre d'une maladie mentale. Curieusement, plusieurs films maghrébins, sortis ces dernières années, partagent cette idée du père absent, du père coupable, du père démissionnaire... Les jeunes de Sidi Moumen, comme dans une immense prison, tournent en rond, rêvent des lumières de la ville et d'amours évanescentes. La violence, l'agressivité, la méchanceté, l'arbitraire sont bien les enfants légitimes d'un système social oppresseur, impitoyable. Le champ est fertile pour l'endoctrinement religieux. Les deux frères basculent graduellement, avec facilité, dans l'extrémisme islamiste, bien pris en charge par des prêcheurs «professionnels» à l'image de Abou Zoubeïr, considéré comme un «émir». Des barbus qui usent d'un langage violent intensifié, d'une manière quelque peu exagérée, par Nabil Ayouch. Tout y est : promesse de Paradis dans l'au-delà, rejet du monde impie, haine de l'Occident, des chrétiens et des juifs, dénonciation de «complot». Tout cela, on le sait. Le cinéaste le rappelle sans apporter un plus et sans prendre position. Il ne condamne personne. Le cinéaste est là, à reprendre autrement le réel, sans trancher. D'où l'intérêt de la fiction. On voit bien que le frère d'un kamikaze n'est pas totalement convaincu par l'opération ordonnée par le chef. Il essaie de dissuader son frère : «Pense à notre mère», lui dit-il. L'autre est déjà conditionné, monté et remonté pour tuer au nom de l'islam. L'échange qu'il a avec son frère relève presque du «prêt à penser». Tout ce que les radicaux se disent entre eux est un discours traité jusqu'à l'os par les médias, répété à l'infini depuis les attentats du 11 Septembre 2001. D'où l'impression que Les Chevaux de Dieu ne va pas au-delà de ce que l'on sait déjà : la misère et la marginalisation nourrissent la violence, la violence facilite l'extrémisme. Et les deux fléaux irriguent le terrorisme religieux, lequel n'est pas le résultat du néant. Nabil Ayouch tente de donner des visages à la violence pour casser l'idée d'un phénomène diffus, vaporeux, collé aux sociétés du Sud et aux pays musulmans. Cependant, il y a un problème : pourquoi les intégristes s'étaient installés au cœur du bidonville de Sidi Moumen pour y recruter des candidats à la mort ? Seulement cela ? Nabil Ayouch n'est pas allé loin. Les kamikazes de Casablanca étaient également des êtres humains qui avaient leurs espérances et leurs rêves. Le cinéaste, qui ne mène aucune «croisade» ou règlement de comptes, fait un effort pour comprendre même s' il a, quelque part, failli tomber dans le piège du «politiquement convenu». Il s'est appuyé, aidé par le scénariste Jamal Belmahi et du roman de Mahi Binebine, Les Etoiles de Sidi Moumen, pour construire son histoire. Une histoire inévitablement contemporaine où la relation groupe/individus est explorée avec finesse. Le radicalisme religieux infeste certes les rapports sociaux, mais pas autant que cela. A Sidi Moumen, les intégristes n'ont pas pu avoir l'adhésion totale (ou facile) qu'ils espéraient. Donc il n'y a pas de fatalisme. Le public international de la salle Burkina réagissait avec des «oh !» et des «ah !» à certaines répliques du film. La plus populaire : «Rendez-vous au Paradis !», dit le chef terroriste au futur kamikaze. Cela veut dire simplement qu'il y a encore un grand effort à déployer pour éliminer les préjugés et les idées reçues sur les musulmans et l'islam. Ce n'est pas forcément le rôle du cinéma... Primé dans plusieurs festivals, Les Chevaux de Dieu est sorti en salle au Maroc, en Belgique et en France. Le film a été sélectionné, en 2012, dans la section «Un certain regard» au Festival international de Cannes.