Stéphane Hessel s'est éteint à Paris hier matin. Le résistant, anticolonialiste, militant et humaniste convaincu, était âgé de 95 ans. Lyon de notre correspondant Les nouvelles générations ont découvert en 2010 un vieil homme digne, courageux, ferme dans ses convictions. A 90 ans déjà, son livre Indignez-vous ! publié dans la modeste maison d'édition engagée Indigène, installée à Montpellier, avait porté très loin, puisque 4 millions d'exemplaires de son petit livre ont été écoulés depuis dans 35 pays. Mieux encore, son indignation contre l'injustice et l'inégalité a été reprise en chœur en 2011 par les manifestants de la Puerta del Sol, en Espagne, en Grèce, ou par le mouvement Occupy Wall Street, à New York contre les désordres du capitalisme qui appauvrit la planète. Tout cela au lendemain de ce qu'il convient d'appeler en Occident le Printemps arabe. Quel autre mot d'ordre que celui de l'indignation contre le pouvoir absolu a fait sortir les Tunisiens dans la rue pour chasser leur tyran, puis les Egyptiens, ou encore les Libyens, sans parler des Syriens et dans une moindre mesure les Algériens. Même si ensuite l'histoire a montré que rien n'était aussi simple, la concordance entre l'apparition médiatique de Stéphane Hessel et ces bouleversements du monde avait quelque chose de surprenant, achevant d'asseoir la statue du vieil homme qui a gardé la parole militante jusqu'à sa mort hier matin à Paris. En Algérie, on retiendra du défunt son anticolonialisme viscéral au moment de la guerre d'Algérie, alors qu'il était haut fonctionnaire de la République, puis son engagement auprès de la cause palestinienne, lui, le juif allemand qui fut membre de la résistance contre le nazisme. Impliqué dans la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1948, il s'engagera à fond dans les mouvements qui prônent la liberté et l'épanouissement des individus. Entre 1963 et 1969, il avait été diplomate à l'ambassade de France à Alger. A l'heure de sa retraite en 1983, débarrassé des entraves auxquelles ses fonctions le maintenaient, il développa ses engagements qui le maintiendront jeune dans l'esprit et dans son grand corps élancé jusqu'à son dernier souffle. Impressionnant le public, le poussant à lever la tête contre l'abjection. Le cinéaste Tony Gatlif, gitan originaire d'Algérie (il consacre à notre pays le très beau film Exil), aura eu le privilège d'immortaliser cette figure dans Indignés, un documentaire qui reprend avec force les mots d'ordre humanistes de Hessel (à voir sur Arte.fr). Après avoir lu le livret du résistant, il considéra qu'il y avait urgence à figer cette énergie : «Ces sombres temps dans lesquels nous vivons peuvent déboucher sur pire encore, un déferlement de violence xénophobe et raciste, une guerre de civilisation, dressant des peuples contre d'autres peuples au nom de Dieu, de l'incompatibilité des cultures, ou tout simplement de la haine de l'autre. Contre cette issue terrible, le cinéma, comme la littérature, la musique et les autres arts, doit se battre.» Le film faisait suite à un long métrage sur les indignés qui manifestaient de par le monde, notamment en Espagne et Grèce. Un citoyen sans frontières Enfin, on retiendra du défunt qu'il a été un défenseur ardent de la cause des immigrés et des sans-papiers, devenant en 1996 la figure de proue des médiateurs après l'expulsion de l'église parisienne Saint-Bernard. Se qualifiant de «citoyen sans frontières», il considérait que «la présence en France d'immigrés de nombreux pays est une richesse». Il estimait que la politique française à l'égard de l'immigration devait être «compatible avec les intérêts nationaux et ceux des pays d'émigration», mais aussi avec «les valeurs fondamentales d'humanité et de solidarité». L'ancien résistant n'avait eu de cesse de réclamer une politique de l'immigration qui ne transforme pas les migrants en victimes d'injustice. «Etant moi-même né Allemand et devenu Français à l'âge de 20 ans, je suis un peu immigré», expliquait-il. Il s'était aussi engagé auprès du Réseau éducation sans frontières pour soutenir ou parrainer les enfants scolarisés de familles sans-papiers et menacées d'expulsion. Stéphane Hessel a d'ailleurs récidivé en mars 2011 avec Engagez-vous ! (L'Aube). L'an dernier, l'écrivain avait sorti en France Déclarons la paix ! Pour un progrès de l'esprit, reprenant des entretiens avec le dalaï-lama. Il avait aussi publié avec Edgar Morin, Le Chemin de l'espérance. Enfin, lors de la 6e semaine anticoloniale, en 2011, Stéphane Hessel avait reçu le prix Frantz Fanon de la part de la fondation Frantz Fanon, en liaison avec l'association Sortir du colonialisme, pour valoriser l'action d'un anticolonialiste exemplaire.