Mercredi dernier, le jour où nous avions publié l'article sur le livre L'engagement à travers la vie de Germaine Tillion, (éditions Riveneuve), Stéphane Hessel, qui avait parrainé le colloque qui lui était consacré, décédait à Paris, lui aussi à un âge avancé. Armelle Mabon a bien voulu nous dire ce qui rapprochait ces deux illustres personnalités. La professeure et chercheuse travaille actuellement sur les soldats africains impliqués dans la Seconde Guerre mondiale. -Coïncidence de la vie et de la mort, la parution de L'engagement à travers la vie de Germaine Tillion est intervenu alors qu'un autre grand résistant, anticolonialiste, Stéphane Hessel, nous quittait. Selon-vous, qui y a-t-il de commun entre ces deux témoins majeurs du XXe siècle, les deux ayant franchi le passage au XXIe ? J'ai eu le privilège de connaître Germaine Tillion et j'espérais rencontrer Stéphane Hessel, en lui offrant cet ouvrage publié quelques jours seulement avant son décès. Il avait accepté de dire quelques mots, par caméra interposée, pour le colloque, en hommage à son amie. Ce que je retiens surtout, c'est l'humilité, la «pétillance», la disponibilité, tout en restant grave devant le monde qui marche à l'envers, ce sens de la dérision pour Germaine et cette classe d'ambassadeur pour Stéphane. Je pense qu'ils se complétaient dans leur lutte commune et leur engagement inaltérable qui devient un legs inestimable. Dans mon quotidien d'enseignante chercheuse, il serait tellement plus simple de se résigner, d'accepter les diktats, les compromissions, les arrogances de ceux qui détiennent des pouvoirs et en abusent. L'engagement de Germaine Tillion, de Stéphane Hessel et des plus anonymes me pousse à résister pour que chaque membre de cette communauté universitaire puisse être respecté, pour que les droits ne soient pas galvaudés. Cette lutte permanente est vitale, en espérant une grande contagion. Ce livre hommage est un remerciement à Germaine Tillion. -Vous venez de superviser la publication des actes du colloque consacré à Germaine Tillion à Lorient en 2010. Que restera-t-il de la mémoire de cette grande résistante et humaniste ? Quelle est sa place en ce XXIe siècle agité ? Une mémoire doit rester vive et il nous appartient de poursuivre les multiples réflexions que nous a léguées Germaine Tillion. Le projet de transformer sa maison de Plouhinec en espace de rencontres en est une illustration. Pour moi, Germaine Tillion est une héroïne comme nous l'a présentée Christian Chevandier dans cet ouvrage, et elle peut encore nous aider à œuvrer pour une maîtrise de nos destins tant individuels que collectifs, le contraire de la passivité et de la résignation face aux ordres établis qui, parfois, nous sclérosent comme «les moules», que cite Simone de Bolladière. Penser à Germaine Tillion, c'est oser les défis permanents et notre XXIe siècle en a bien besoin. -Vous continuez vos recherches sur les soldats africains enrôlés durant la Seconde Guerre mondiale, notamment sur le massacre du camp de Thiaroye. Quelles sont, en quelques mots, vos dernières découvertes dans les archives ? Désormais, le mot «massacre» n'est plus un tabou. Ces anciens prisonniers de guerre ont été spoliés de leur rappel de solde et il y a eu une volonté délibérée de soustraire les circulaires officielles permettant de comprendre la légitimité de leurs revendications. Les rapports de l'armée, que nous avons retrouvés dans les archives, ont été écrits à charge, avec une mise en scène pour essayer de prouver que les mutins étaient armés. Mais, au final, la riposte n'était qu'une fable. Ils n'étaient pas armés. Les rapports se contredisent et sont truffés d'incohérences, à commencer par le nombre de morts. Il ne servirait à rien de restituer ces archives au Sénégal, sauf à poursuivre un mensonge d'Etat (ndlr, lire ci-après). La France doit avant tout réhabiliter solennellement ces hommes. * L'engagement à travers la vie de Germaine Tillion, sous la direction d'Armelle Mabon et Gwendal Simon, actes du Colloque parrainé en Bretagne par Stéphane Hessel et Simone de la Bollardière, 248 pages, éditions Riveneuve, Paris février 2013. Joint au livre des extraits vidéo de l'opérette, Le verfügbar aux enfers, créé pendant la détention de Germaine Tillion dans les camps nazis.