Alors que tout le monde avait parié sur leur enlisement, les troupes franco-tchadiennes envoyées début janvier au Sahel pour libérer le septentrion malien de l'emprise d'Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), d'Ançar Eddine et du Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ont déjà remporté de nombreuses batailles contre les groupes terroristes. Hama Ag Sid Ahmed, le porte-parole du président du Conseil transitoire de l'Etat de l'Azawad (ex-MNLA), fait pour El Watan le point sur la situation sécuritaire dans l'Azawad et donne son appréciation concernant la démarche politique proposée par Bamako pour sortir le Mali de la crise. -Depuis la reprise par les troupes franco-maliennes des grandes villes du Nord-Mali tombées entre les mains des éléments d'AQMI, d'Ançar Eddine et du Mujao il y a une année, vous signale-t-on de nouvelles exactions contre les populations civiles locales ? Quelle est exactement la situation des droits de l'homme dans l'Azawad actuellement ? Oui, les exactions contre les populations touareg, arabes et sonrais, qui ne sont pourtant impliquées ni dans l'organisation du MNLA et encore moins dans les activités des groupes terroristes, se sont poursuivies. Il y a aussi des assassinats. Pour donner quelques exemples concrets, sachez que dans la région de Mopti, 8 éleveurs touareg ont été sommairement exécutés non loin de Djabali au cours du mois d'octobre 2012. Le 25 octobre dernier à Djoura (région de Mopti), 52 civils touareg ont subi le même sort. Du 10 janvier au 2 mars 2013, 46 autres personnes ont été assassinées dans les régions de Gao, Tombouctou, Ménaka et Mopti. La liste est encore longue. On peut passer des heures à évoquer les noms de ces malheureux chefs de famille qui ont laissé derrière eux des enfants à cause de leur appartenance ethnique ou de la couleur de leur peau. Si les éléments des forces spéciales françaises n'avaient pas été présents dans certaines zones, la situation aurait été davantage plus dramatique. Le constat tragique que nous faisons de la situation n'est pas une invention, comme le soutiennent certaines parties. La preuve : il vient d'être corroboré par un rapport accablant du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Cette instance a d'ailleurs exigé des autorités maliennes qu'elles arrêtent les militaires responsables des exécutons sommaires. Une chose est sûre, ce rapport donne un aperçu de la barbarie pratiquée par les troupes maliennes dans l'Azawad. Heureusement que maintenant et contrairement aux années 1990 tout se sait. En réalité, les droits de l'homme n'ont jamais été respectés au Mali. On le voit bien, la transition démocratique malienne qui avait bien commencé en 1992 est en panne. Elle régresse même. Et ce n'est certainement pas le capitaine Sanango qui dira le contraire. De son côté, le MNLA – qui est accusé par Bamako d'avoir commis quelques actes similaires lorsque ses troupes occupaient les régions de Tombouctou, Gao et Kidal avant l'invasion des terroristes – accepte qu'une commission indépendante internationale composées d'experts vienne sur le terrain pour faire éclater la vérité au grand jour. -Qu'en est-il de la situation sécuritaire dans le nord du Mali? Comparativement aux mois précédents, la situation sécuritaire s'est beaucoup améliorée. Cela est visible sur le terrain. Le MNLA occupe la région de Kidal. La sécurisation de la région se fait en collaboration avec les troupes tchadiennes et françaises. Il en est de même pour une bonne partie de la localité de Ménaka. La préoccupation majeure du MNLA est, bien entendu, la sécurisation des populations. Nous mettons également tout en œuvre pour permettre le retour des populations déplacées ou qui se sont réfugiées dans les pays voisins. Les gens sont aujourd'hui moins inquiets dans la région de Kidal. La preuve : certains éleveurs commencent à y revenir. Même s'il reste encore des poches terroristes, il faut reconnaître que les forces françaises ont déjà «nettoyé» de nombreuses localités. -Où se trouve justement le gros de ces poches terroristes ? La partie la plus importante de l'espace du Nord n'est plus occupée par les groupes terroristes. Ces derniers sont maintenant passés à une autre stratégie qui consiste à se protéger et à ne plus rechercher systématiquement les affrontements avec les troupes françaises. Scindées en plusieurs petits groupes, une grande partie des terroristes d'AQMI se trouve à la périphérie de Tighargar (frontière algéro-malienne). Très mobiles, ces petits groupes de terroristes se déplacent souvent à pied pour passer inaperçus dans les montagnes de l'Adrar des Ifoghas et même au-delà. D'autres, par contre, cherchent à trouver des abris sécurisés dans le but de se faire oublier. Une chose est sûre, le gros de leur matériel de guerre est détruit. Il y a aussi d'autres groupes liés à AQMI dans les zones frontalières avec la Mauritanie. -Et qu'en est-il du Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ? Les groupes affiliés au Mujao se concentrent dans les environs de la région de Gao. Ils sont aussi très mobiles. Grâce aux réseaux qu'ils ont réussi, avec le temps, à tisser localement, ils restent bien informés de ce qui se passe dans la région. Ils s'assurent de la loyauté de leurs «amis» ou de leurs «sources» en les payant grassement. Quelques éléments du Mujao tentent également de se fondre dans la population. Malgré leurs moyens financiers, la population les abandonne. Mais dans l'absolu, il faut attendre encore plusieurs mois avant d'espérer une normalisation et une maîtrise de la situation sécuritaire dans l'ensemble de la région. Pour avoir une sécurité durable, il est essentiel que les populations de la région soient impliquées dans ce travail de sécurisation. Sans elles, rien ne peut se faire. Ceci dit, seul un accord politique entre Bamako et les communautés de l'Azawad pourra permettre de stabiliser durablement la région et de venir à bout des groupes terroristes. Tant qu'une «paix politique» n'est pas conclue entre les Touareg et Bamako, il y aura encore des résidus terroristes dans la région. -Comment le CTEA (ex-MNLA) gère-t-il la multiplication des mouvements armés dans le Nord ? Des alliances sont-elles possibles avec certains d'entre eux (MAA et MIA) ? Quelles relations entretient le MNLA avec le Mouvement islamique de l'Azawad (MIA)? Y a-t-il un projet de fusion entre les deux mouvements ? Les responsables, tous les responsables du MNLA travaillent pour l'unification des groupes politiques armés présents dans le Nord. Après une concertation avec les officiers supérieurs du MIA, certains d'entre eux et pas des moindres ont, le 9 mars dernier, accepté de nous rejoindre avec leurs hommes. Il s'agit des colonels Bah Ag Mossa, et Intalla Ag Sayed. Lors de leur venue au MNLA, ces deux officiers supérieurs ont plaidé en faveur «(…) d'une restructuration de l'armée de l'Azawad pour être en mesure d'accomplir son devoir dans la lutte contre le terrorisme, de la protection des populations contre les forces maliennes et leurs milices et pour la sécurité et de la stabilisation de la région». Le MIA s'est, pour ainsi dire, vidé de sa substance. Près de 85% de ses combattants – qui sont tous Touareg – ont rejoint le MNLA. On peut dire aujourd'hui que les combattants du MIA se sont fondus dans le MNLA. Maintenant, il s'agit d'amener tous les autres groupes armés non affiliés à ceux des terroristes à faire la même chose. Le souhait du MNLA est de ne plus voir d'autres groupes armés circuler dans la région. Cela fait d'ailleurs partie de ses principaux objectifs. -Et quid du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA) ? Le «MAA» est constitué de trafiquants de drogue bien connus. Ils veulent garder un groupe armé opérationnel pour sécuriser le transit de la drogue. Ce n'est donc pas un groupe militaire et politique. Sachez par ailleurs qu'un groupe qui s'appelait «Anser Cheragha», dirigé par l'ancien numéro 3 du Mujao, est venu se joindre eux. Il s'agit d'une dissidence du Mujao qui a vu le jour au mois d'avril 2012 à Tombouctou. Il s'est joint au MAA le 25 janvier 2013. Ceci étant, le MNLA a pris contact avec plusieurs leaders arabes de la région pour les inviter à rejoindre le MNLA. Les discussions ont déjà commencé. Nous pensons que plusieurs leaders arabes rejoindront le MNLA dans les prochaines semaines. D'autres sont déjà dans le MNLA. Par ailleurs, nous faisons attention aux opportunistes. Nous l'avons remarqué, à la fin de chaque conflit il y a de nouveaux groupes qui apparaissent. Ceux-ci ne sont concernés ni de près ni de loin avec le problème qui est le nôtre. Ce sont des gens très dangereux pour l'avenir de la région. Cette fois, nous tiendrons compte des erreurs du passé. Nous veillerons à ce que les acquis de la lutte reviennent aux citoyens de l'Azawad qui ont souffert et tout sacrifié pour avoir un avenir meilleur. -Les responsables du MNLA s'attendaient-ils à une volte-face d'Ançar Eddine au mois de janvier dernier et à son alliance avec AQMI ? Pourquoi ? Bien entendu. Nous savions que le groupe Ançar Eddine s'était allié aux autres groupes terroristes présents dans la région depuis un bon moment. Nous étions au courant durant la première semaine de janvier qu'Ançar Eddine avait scellé une alliance avec le Mujao et AQMI et qu'ils avaient décidé ensemble de s'attaquer au sud du Mali et au MNLA. Nous avons mis en garde quelques personnes que nous connaissons parmi Ançar Eddine. Nous leur avons fait savoir que cela pourrait déclencher une intervention internationale. Malheureusement, ils n'ont rien voulu savoir. La suite tout le monde la connaît. -Quelle appréciation portez-vous sur la démarche politique proposée par Bamako pour sortir de la crise dans laquelle se trouve le Mali depuis plus d'une année ? Nous sommes face à un gouvernement de transition qui est dirigé en partie par un capitane qui «se cache derrière un mur» pour ne pas aller combattre les terroristes au Nord. Nous sommes face à un gouvernement qui ne sait pas où donner de la tête et qui ne propose rien de sérieux pour le moment. Comme d'habitude, ils n'ont «pas le génie de réfléchir sur les choses sérieuses». Il y a une feuille de route qui avait été votée par l'Assemblée nationale malienne. Dans cette feuille de route, l'esprit de dialogue n'existe pas. Tant qu'une paix n'est pas conclue, il est difficile de penser qu'il sera possible d'organiser des élections au mois de juillet prochain. Cela, sauf si une partie du pays ne sera pas concernée par le scrutin. Nous avons demandé aux pays impliqués (la France, l'Union européenne et les USA et les pays de la région) dans la gestion de cette crise d'intervenir très rapidement auprès de la transition malienne pour éviter l'émiettement du Mali.