Nous marcherons cette semaine », menace ce jeune que nous avons rencontré avec un groupe d'autres jeunes lors de notre visite au chef-lieu de la commune d'El Asnam. Le village, un gros bourg est redevenu calme après les violentes émeutes qui ont secoué la région pendant plus de trois ans. On a séché ses larmes et pansé ses blessures. Le prix à payer a été lourd : 12 blessés par balles du côté des manifestants. C'est pourquoi, dans ce contexte paisible, parler de marche, même pacifique comme s'est empressé d'ajouter aussitôt notre jeune interlocuteur, semble relever de la bravade sinon de l'utopie pour le moment, où la mobilisation a du mal à s'affirmer. Comment donc espérer mobiliser une foule assez importante autour d'une revendication aussi banale que celle qui exige la réalisation d'un stade à El Asnam ? L'APC, qui faute de siège a été hébergée par la coopérative agricole pendant 20 ans, ne s'emballe pas si facilement pour ce genre de projet. Pourtant notre jeune s'y accroche comme à une planche de salut : « Nous avons un club de football, et quand nous recevons une équipe, nous sommes chaque fois obligés de demander un stade, soit à M'chedellah, soit à Aïn Bessem », s'indigne-t-il. D'ailleurs était-ce le seul sujet de mécontentement dans une commune à dominance agricole ? Le logement, l'AEP, l'emploi, le transport scolaire, et l'habitat rural sont autant de dossiers en suspens. « Venez à la campagne, invite Mourad, un jeune de 25 ans, vous allez vous rendre compte par vous-même de la situation ». Dans les zones rurales, le bénéfice de l'habitat rural, c'est du vent, selon lui, et l'emploi, un mythe. « Pour pouvoir prétendre aux mesures décidées dans le cadre de l'habitat rural, ici, il faut être pistonné, affirme-t-il. Quant à l'emploi, beaucoup ont dépassé la cinquantaine sans savoir ce que c'est qu'un vrai travail ». Revenant sur son échec scolaire qui s'est trop tôt imposé à lui, il l'explique par le manque de transport scolaire. Selon lui, c'est la cause principale des échecs qui guettent la plupart des élèves. Tout se passe selon ces jeunes comme si la gestion de la commune n'intégrait pas dans ses plans de développement les zones rurales, puisque selon lui, 50% des logements en milieu rural seraient faits en pisé. Pour ce groupe de jeunes que nous abordons un peu plus loin le long de la RN 5, si tout va mal, c'est parce qu'il n'y a pas d'élus locaux. Or, en cela la consigne de « zéro vote », a été suivie à la lettre par la population, au cours des deux rendez-vos électoraux précédents. Les deux manifestations de rue auxquelles ont donné lieu les scrutins du 31 mai et du 10 octobre 2002 ont été d'une rare violence à El Asnam. La foule de manifestants a été si nombreuse et si déterminée à boycotter les urnes et même à empêcher coûte que coûte leur déroulement que les forces de l'ordre ont été vite débordées. Pendant ces deux journées, les manifestants, usant des pneus enflammés et des barricades ont bloqué la RN5, empêchant tout trafic sur cet axe. Ils s'en sont pris violemment aux centres et bureaux de vote de la commune dont ils ont saccagé les urnes. Un sentiment de mépris Quelques graffitis sur les murs qui bordent la RN5 des deux côtés viennent en appui aux propos de Slimane, 25 ans, de Jughurta 18 ans et de Nabil, 19 ans ; ils témoignent aux côtés de tant d'autres de l'état d'esprit des jeunes d'alors et de toute une culture faite à base de rejet, de contestation, de révolte et de haine pour un système abhorré. Aujourd'hui, que le calme est revenu, ne subsiste qu'un sentiment : le mépris, à moins que ce ne soit l'indifférence tout court. Les logements au niveau des trois cités attendent toujours d'être distribués. Pour pallier le problème de l'eau, on recourt à l'approvisionnement par citernage à raison de 600 et 700 DA la citerne. Le problème de l'emploi demeure entier alors que des entreprises comme Tordini, Ennaler et Cosider ont besoin de main-d'œuvre qu'on leur fournit en dehors de la commune. Tout cela est perçu par nos jeunes comme un règlement de compte dirigé contre eux au même titre que les exclusions scolaires qui ont ciblé certains au début de la crise, et que la radiation qui a visé 12 gardes communaux convaincus d'avoir boycotté les urnes en 1997. Jugurtha qui nous accompagne un moment dans notre déambulation à travers le village où nous notons au moins 3 hôtels et une multitude de cafés et de restaurants en plus d'une variété d'autres commerces, est catégorique : tombée l'exaltation qui les a jetés à corps perdus dans la contestation générale pendant trois ans, les jeunes n' acceptent pas le mal qui les ronge. Les pires injustices Pour se donner l'illusion d'échapper à son emprise, il ne leur reste que la drogue et l'alcool. En attendant un improbable événement qui provoquerait un remacke de 2001 qui balayerait tout sur son passage tel un cyclone. De leur côté, les élus locaux peuvent rêver en paix : les prochaines échéances électorales sont encore loin et si les mêmes règles de jeu restent en vigueur, il y a fort à parier que le P/APC qui est par exemple à son troisième mandat n'en décroche le quatrième et son adjoint qui, se meurt dans son sillage, le troisième. Comme quoi tout est parfait dans le meilleur des mondes même quand ce monde est fondé sur les pires injustices.