Pendant que le campus El Manar (Tunis) vibre au rythme altermondialiste, le tribunal de première instance de Manouba abritera, aujourd'hui, le procès du recteur de l'université hyponyme, Habib Kezdaghli. Il est accusé de «violence» contre deux étudiantes islamistes, il y a cela une année et demie. Une accusation que le concerné récuse. C'est la 5e fois que le recteur se présente devant le juge. Le procès traîne en longueur. L'affaire qui a défrayé la chronique tourne «au feuilleton judiciaire de la gifle imaginaire». La société civile tunisienne, fortement mobilisée pour soutenir l'universitaire, dénonce un «procès politique monté de toutes pièces par l'équipe au pouvoir dont les options politiques sont en contradiction avec les mots d'ordre de la révolution : travail, liberté et dignité». Profitant de la tenue du Forum social mondial (FSM), un rassemblement de solidarité international a été organisé, hier, au campus El Manar pour dénoncer «un harcèlement judiciaire qui vise à faire taire les voix modernistes en Tunisie». Plusieurs ONG tunisiennes et internationales, syndicats et universitaires sont venus apporter leur soutien à Habib Kazdaghli. «Ce procès intervient dans un contexte de trouble marqué par la montée de la violence orchestrée par le gouvernement islamiste visant les intellectuels, les artistes, les journalistes, les féministes et tous les militants progressistes, dans le but de brimer les libertés démocratiques et de museler la liberté d'expression», a expliqué l'universitaire Habib Mellah. Le comité de soutien au recteur, dont l'affaire a marqué le début des attaques contre les acquis de la révolution et le modèle sociétal tunisien, dénonce «l'instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif qui fait traîner le procès en requalifiant les charges retenues contre le recteur. Le nouveau pouvoir joue sur le temps pour affaiblir la solidarité qui s'est créée autour du recteur et en tentant de remobiliser les secteurs réactionnaires au sein de l'opinion». Le recteur s'interroge sur le mutisme du ministre de tutelle face à une affaire qui le concerne directement. «Le silence du ministre en dit long», constat M. Kazdaghli. Ali Laârayedh, ministre de l'Intérieur à l'époque de l'éclatement de l'affaire, devenu récemment chef du gouvernement, avait fait sienne des accusations contre le recteur. «Le ministre de l'Intérieur m'avait traité de danger pour l'université sur un plateau de télévision», a rappelé le recteur. Un discours qui a donné des ailes aux extrémistes religieux. «Le chef de file des salafistes tunisiens, Abou Ayadh, actuellement recherché par la police, a même osé tenir une conférence devant l'université de Manouba pour s'attaquer à ma personne. Cela montre le laxisme des nouvelles autorités politiques du pays», a condamné Habib Kazdaghli dont l'affaire a suscité l'inquiétude des secteurs progressistes tunisiens. Soutenu par un collectif d'avocats, le recteur a tenu à rendre hommage au militant assassiné Chokri Belaïd qui était à l'origine du collectif de la défense. Coïncidant avec le procès, le Syndicat des magistrats tunisiens appelle, à partir d'aujourd'hui, à une grève pour «protester contre les velléités de la majorité parlementaire de subordonner la justice au pouvoir exécutif». L'ex-sénateur belge, Pierre Galon, présent au rassemblement au nom d'ONG belges, en apportant son soutien à Habib Kazdaghli, a appelé à «la vigilance face au délitement de la situation politique dans le pays». Des universitaires de Paris VIII et de Besançon ont tenu également à apporter leur solidarité au recteur. «Ce sont des pressions inacceptables et scandaleuses qui exigent de nous une mobilisation générale, car il s'agit d'une menace contre les libertés démocratiques chèrement acquises», a martelé l'ex-président de l'université de Besançon, Jacques Fauteuille. L'affaire Habib Kazdaghli est devenue emblématique de la tentation des islamistes à imposer à la société tunisienne un modèle sociétal de type théocratique. Le procès du recteur Habib Kazdaghli est une épreuve politique pour l'opposition démocratique pour jauger sa capacité de mobilisation. Il est également un sérieux test pour la troïka d'assumer ou non le choix de l'indépendance de la justice.