C'est une véritable chasse à l'homme qui a été engagée hier dans les quartiers de Zighoud Youcef, au deuxième jour des émeutes qui ont éclaté dans cette commune distante de 30 km de Constantine, sur la route de Skikda. Des centaines de gendarmes et de policiers des brigades antiémeute ont quadrillé la ville, laissant la tâche à quelques escadrilles d'intervenir dans le quartier de la Casbah, situé sur les hauteurs de la ville, et aller chercher les jeunes émeutiers réfugiés à l'intérieur de leurs maisons. La tension était vive, très vive hier, au fur et à mesure que les arrestations se poursuivaient. On comptait une soixantaine de personnes arrêtées, selon un officier de la police, alors que les 35 détenus de la veille ont été présentés durant la matinée devant le procureur de la République et attendaient leur passage devant le juge. C'est ce qui a empêché le retour au calme. Les personnes déléguées par la population mardi en fin d'après-midi pour discuter avec les élus ont commencé par poser la condition de la libération des détenus avant toute négociation. Rencontre avortée puisque le président de l'APC et le député Farek Ahcène, tous les deux d'obédience FLN, n'ont pas pu donner une réponse rassurante à la délégation. La colère est montée crescendo et après la marche populaire observée lundi, la fermeture mardi de la RN3, hier, les manifestations ont tourné aux affrontements avec les forces de l'ordre. Affrontements dans lesquels des policiers ont eu recours aux bombes lacrymogènes à l'intérieur des habitations, provoquant plusieurs cas d'asphyxie et d'évanouissement, notamment parmi les enfants et les personnes âgées. L'hôpital, qui a accueilli la veille une quinzaine de jeunes violentés par la police, n'a pas désempli hier non plus. Nous avons également assisté à des scènes surréalistes, où des policiers ont usé de la force pour pénétrer dans des domiciles, provoquant colère et pleurs chez les habitants, et vu aussi des agents recevoir de gros cailloux sur la tête. Toutes les activités étaient interrompues hier dans une ville rattrapée par la colère et l'indignation après avoir été écartée de l'itinéraire de la visite présidentielle à Constantine, pour la douzième fois. La population voulait raconter son malheur au chef de l'Etat et elle n'a pas eu l'occasion. C'était comme la goutte qui a fait déborder le vase trop plein d'une ville de 34 000 âmes privées de tout à l'ère des 60 milliards de dollars de cagnotte. Les témoignages recueillis sur place sont unanimes pour dénoncer la marginalisation et la hogra qu'endure leur commune, classée pourtant à la quatrième position à l'échelle de la wilaya. Zighoud Youcef, ex-Camp Smendou, ne goûte pas, en effet, aux fruits du développement. « Les seuls projets inscrits sont ceux d'un cimetière, d'un asile psychiatrique et d'une prison », raconte Toufik, un diplômé en sociologie du travail au chômage. Ils sont, d'ailleurs, quelque 7000 étudiants qui souffrent comme lui de l'absence de débouchés professionnels si ce n'est l'engagement dans les rangs de l'armée, la gendarmerie ou la police, reconnaît le P/APC, qui estime à 1000 le nombre de jeunes employés par la police. Les citoyens que nous avons rencontrés n'ont pas hésité à déverser leur colère sur leur représentant à l'APN, « qui a un salaire de 30 millions et qui ne s'intéresse pas à nous », sur les élus, qualifiés d'incompétents, et sur l'ex-parti unique en général, « qui n'a rien fait pour nous depuis 1962 ». D'autres ont exprimé la misère et la marginalisation en soulignant que la population est obligée de se déplacer à Didouche Mourad, la commune voisine, pour payer les factures de Sonelgaz et retirer certains documents administratifs. Une aberration et une honte pour la population qui n'admet pas le fait d'être dépendante d'une commune qui fait partie de la daïra de Zighoud Youcef. La misère racontée par ces gens n'est pas exagérée. En plus des 1500 demandes de logement qui attendent en l'absence de projets, le chômage fait des ravages, sachant que le taux officiel dépasse les 40%, selon le maire. Un chômage qui ronge la commune en l'absence du moindre projet d'investissement aussi bien du côté étatique que privé. La zone d'activités érigée il y a de cela dix ans est restée désertique. Pourtant, 86 lots de terrain ont bénéficié à des prétendus investisseurs. « Un seul projet a vu le jour et le reste fait l'objet de spéculation sur le foncier, selon Zidane Far, maire de la ville, de la part des acquéreurs qui sont aujourd'hui à l'abri des mesures d'expropriation à cause des failles qui jalonnent les actes de propriété et la loi sur l'investissement. » Le déplacement du wali, mardi en fin d'après-midi, a permis aux élus de transmettre les doléances de la délégation des citoyens contenue en neuf points parmi lesquels le problème du logement, celui du centre commercial, le préemploi et l'emploi de jeunes, la question du chômage, les infrastructures de sport et de loisirs, celles de l'investissement et de la ZAC et enfin le problème relatif à l'officier de police de la commune considéré comme la bête noire des vendeurs à l'étalage. A l'heure où nous mettons sous presse, le calme n'est pas encore rétabli et les arrestations se poursuivent. Les habitants, de leur part, ont décidé d'observer durant la journée du samedi une grève générale.