Alors que les opposants à un 4e mandat de Abdelaziz Bouteflika font parler d'eux dans la presse, les soutiens au chef de l'Etat tentent d'impliquer les clubs de foot dans une opération visant à appeler le Président à se représenter une nouvelle fois. «Depuis le match Algérie-Egypte à Omdurman et l'engouement des Algériens pour cette rencontre, le pouvoir sait que le sport peut être un danger. Mais il a également compris que les stades pouvaient lui être utiles. Il compte sur les banderoles (comme celle du Mouloudia, ndlr) pour mobiliser les masses dans cette guerre des clans», analyse Halim Feddal, secrétaire national de l'Association nationale de lutte contre la corruption. Vendredi dernier lors du match qui a opposé le Mouloudia d'Alger (MCA) au CS Constantine, pour le compte des quarts de finale de la Coupe d'Algérie, une énorme banderole était déployée sur la pelouse du stade du 5 Juillet, appelant le président de la République à se représenter pour un quatrième mandat. «La politisation du sport en général, du football en particulier, n'est pas nouvelle, reconnaît Halim Feddal. Les acteurs principaux du sport sont des gens fidèles au pouvoir, manipulés, qui collaborent avec le système.» Abdelhak S., journaliste sportif, rappelle que ces actions de soutien au président Bouteflika ne sont pas nouvelles. «Lors des précédentes élections de 2004 et 2009, le club de Sétif avait déjà apporté officiellement son soutien à Bouteflika. Par contre, c'est la première fois que les dirigeants du Mouloudia s'engagent de la sorte.» Pour l'ancien président de l'ESS, Abdelhakim Serrar, il est tout à fait normal qu'un club de football intervienne dans le débat politique et apporte son soutien à un candidat à la présidentielle. «Le meilleur moyen de communiquer aujourd'hui, ce sont les stades. Quel parti politique peut réunir aujourd'hui autant de personnes que dans un stade de foot ? estime l'ancien patron des Noir et Blanc. D'ailleurs, le football est politique. 80 à 90% des clubs sont financés par des subventions publiques.» Une analyse que ne partage pas le président de la JSK, Moh Chérif Hannachi, qui s'élève contre toute récupération politique du football. Pour le président des Canaris, le foot et la politique ne devraient pas faire bon ménage. «Un club de football n'a pas à s'impliquer dans la politique, déclare-t-il. Le football est là pour apporter de la joie aux supporters. La politique doit rester en dehors des stades, d'autant que rien n'assure que cette opération puisse être bénéfique pour ceux qui la mettent en place. Généralement les supporters ne sont pas dupes.» Pour le président du comité de supporters du MCA, Mustapha Djebaïli, l'initiative prise par les dirigeants du club sans concertation avec le comité des supporters ne passe pas. Il condamne l'opération et rappelle que le club n'a pas à être impliqué dans des calculs politiques. «On n'est pas contre le président Bouteflika, mais on ne doit pas mélanger le foot et la politique, juge-t-il. Ceux qui veulent faire de la politique doivent le faire en leur nom propre et non au nom du Mouloudia.» Largesses «Dirigé en sous-main» par l'ancien chef de cabinet de Bouteflika et actuel ambassadeur à Rome, Rachid Maârif, le Mouloudia d'Alger bénéficie d'un statut particulier auprès des plus hautes instances du pays. Dernièrement, la compagnie des hydrocarbures, Sonatrach, a été sommée de renflouer les caisses du club à la suite du mouvement de protestation des supporters du MCA, qui se plaignaient du manque de moyens de leur équipe. Quant au club de Sétif, il a pu bénéficier pendant des années des largesses de l'ancien wali, Noureddine Bedoui, qui avait injecté beaucoup d'argent dans les caisses du club pour soutenir la politique dispendieuse du président de l'époque pour s'offrir les joueurs les plus chers du marché. n contrepartie, ces clubs ont toujours apporté leur soutien au pouvoir. «Le pouvoir a toujours mis en place des responsables qui lui sont acquis et qui lui sont redevables, déclare Amine, un supporter du Mouloudia. Le président du MCA, Omar Ghrib, sait très bien que si Bouteflika devait partir, il sera démis immédiatement de ses fonctions.» En réalité, en continuant à subventionner les clubs de foot, le pouvoir achète également leur allégeance et s'assure des relais au sein du monde sportif. «Des subventions publiques sont versées à des clubs privés comme l'ASO Chlef ou l'ES Sétif, alors que c'est contraire à la loi. Il n'y a pas eu d'ouverture de capital pour les clubs privés. Ils reçoivent de l'argent du mécénat. Tout ça prouve bien que le pouvoir peut garder le contrôle sur les clubs. Le but du football n'est pas commercial, il est politique !», souligne Halim Feddal. Tribunes politiques Les stades de football ont toujours constitué des tribunes politiques. Face à l'absence des partis, le football est devenu le plus puissant des partis en Algérie. Les stades étaient jusqu'alors utilisés par les supporters pour hurler leur détresse et attaquer le pouvoir. Déjà, dans les années 1990, les slogans contre le pouvoir du Front islamique du salut (FIS) étaient entonnés en chœur dans tous les stades du pays. Il est devenu aujourd'hui l'enjeu de batailles entre clans. «Il y a des cercles proches du Président qui ont décidé d'utiliser le foot pour faire passer l'idée que le peuple est favorable à un quatrième mandat, analyse un responsable sportif sous le couvert de l'anonymat. Ils veulent que ce soutien soit visible lors des retransmissions télévisées des matches à la télévision.» Cette liaison entre le foot et le politique ne date pas d'aujourd'hui. «Le politique a toujours voulu utiliser le football, lors des élections présidentielles, déclare Ahmed, un ancien président de club. A l'approche des élections, les patrons de club sont sollicités pour se positionner. On leur force la main en leur proposant de l'aide. Je me rappelle qu'à la veille des élections présidentielles de 2004 et 2009, le fonds de wilaya d'aide aux clubs de foot, qui était de 10 000 DA, est passé à 20 millions de dinars». Contagion «Ce qui s'est passé vendredi dernier au 5 Juillet va avoir un effet boule de neige et entraîner les présidents de club à prendre position sur la candidature éventuelle de Bouteflika, estime Ahmed. Ils ne peuvent pas se permettre de ne pas à leur tour apporter leur soutien à cette campagne. Les patrons de club ne peuvent pas se mettre à dos une partie du pouvoir. D'ailleurs on annonce une nouvelle initiative lors du match de demi-finale entre le Mouloudia et l'Entente de Sétif : une grande banderole commune serait déployée pour appeler le président à se représenter.» Pour Abdelhak, ceux qui ont mis en place cette stratégie risquent de ne pas obtenir le résultat escompté. Il rappelle que les patrons de club suivent l'actualité et observent la bataille qui est menée actuellement par certains cercles pour empêcher Bouteflika à se représenter. «S'il y avait unanimité sur la candidature de Bouteflika lors des deuxième et troisième mandats, juge Abdelhak, cela n'est plus le cas actuellement auprès des dirigeants de club. Ils craignent de payer cher un échec éventuel de la candidature du Président. Les patrons de foot sont tributaires de l'argent qui leur est octroyé par l'Etat.»