C'est le plus grand chantier de l'histoire du pays. Le plus cher aussi. 11 milliards de dollars. Il va enfin démarrer... et creuser un sillon dans le nord de l'Algérie. Chronique d'un événement aux implications encore très largement sous-estimées. Il faut juste refaire le calcul deux fois pour croire ses yeux. 376 milliards de dinars pour les Japonais du groupement Cojaal à l'est du pays, 192,5 milliards pour les Chinois de Citic-Crcc au centre et encore 258,4 milliards de dinars pour les même Chinois à l'ouest : les 927 kilomètres de l'autoroute Est-Ouest qui restent à réaliser coûteront environ 824 milliards de dinars au Trésor public. C'est-à-dire environ 11,1 milliards de dollars à la parité courante de 1 dollar US pour 74 dinars. Trop cher ? Ce n'est pas le propos. Les coûts de transport sur l'actuel réseau routier rapportés au jour et au mois sont hors gabarit. Il faut donc peut-être se résoudre à le croire. Le plus gros contrat de l'Algérie indépendante a été négocié et conclu par une équipe de cadres techniciens des travaux publics sous la lointaine protection de leur ministère de tutelle. L'engagement il est vrai se divise en trois lots différents. Jamais un tel montant n'a été décaissé d'un coup pour une seule opération. Etait-il vraiment possible qu'aucune interférence politique ne soit venue faire pencher la balance en faveur des groupements japonais et chinois qui se partagent les trois tronçons ? Des centaines de kilomètres encore sans études Au ministère des Travaux publics, le chargé de la communication M Omar Oukil jure que « c'est le travail souverain de l'Agence nationale des autoroutes qui a donné ces résultats. D'ailleurs dès la confection du cahier des charges un document énorme qui a coûté des problèmes de santé à l'un de nos cadres, c'est l'autonomie des avis techniques qui a été respectée ». Il est toujours possible de trouver à redire lorsque l'enjeu financier et stratégique est aussi colossal. Exemple, le barème d'évaluation a avantagé la libre appréciation de la partie algérienne en donnant 60 points à la qualité technique de l'offre et seulement 40 points à la compétitivité de l'offre financière. C'est ce qui a propulsé les Japonais devant le groupement Italia pour les 399 km du lot est. Plus sérieux encore, le coût global de l'équipement est passé de 7 milliards de dollars à 11 milliards de dollars. Explications : l'évaluation de 7 milliards de dollars se limitait à des offres incomplètes. En effet les offres ont porté sur des lots sur lesquels subsistent encore de longs tronçons pour lesquels le tracé est délimité mais l'étude technique de réalisation n'existe pas encore. Un saut dans l'inconnu pour les groupements de réalisation ? « Le cahier des charges a prévu une solution pour fermer toutes les brèches à une quelconque révision. Le coût moyen du kilomètre en études et réalisation proposé sur la partie pour laquelle existe l'étude est étendu au reste du tronçon », explique Omar Oukil. Il ne devrait donc pas y avoir d'avenant, l'engagement des opérateurs portant sur la totalité du lot même la partie sans études. Celle-ci leur incombera. C'est cette pirouette qui explique les écarts importants entre les offres financières révélées au public le 28 mars dernier et l'offre finale retenue par l'Agence nationale des autoroutes (ANA) est beaucoup plus chère car intégrant les kilomètres pour lesquels l'étude n'existe pas encore. Et ces kilomètres se comptent en centaines : de l'échangeur d'Oran (au sud de Sig) jusqu'à la frontière marocaine ; de Azzaba jusqu'à la frontiète tunisienne, et cerise sur le gâteau la trentaine de kilomètres de franchissement de la région de Zbarbar au centre. « Il y aura beaucoup de travail pour les Algériens » Le plus grand chantier de l'histoire du pays va donc pouvoir démarrer. 100 millions de m3 de terre vont être déplacés, 11 tunnels percés sur deux fois 3 voies, 390 ouvrages d'art réalisés dont 25 viaducs, 19 wilayas directement traversées, 24 desservies. Il faudra le recul du temps pour juger de la qualité du contrat qui va être signé entre l'ANA et les deux groupements asiatiques retenus. Pouvait-on rechercher plus d'effets internes sur l'économie algérienne en privilégiant un choix plus utilisateur de sous-traitance locale. « Les Japonais à l'est auront sans doute besoin de Cosider pour leur agrégat. Les gens se trompent, il y aura beaucoup de travail pour les Algériens », rassure le chargé de la communication du ministère des Travaux publics. C'est un sillon pharaonique qui va labourer le nord de l'Algérie et le pays n'a pas encore pris la mesure de la moisson. Dans les mois qui viennent il sera de moins en moins question du coût de ce contrat hors-norme mais de sa satisfaction dans les délais des 40 mois. Les choses vont s'accélérer avec probablement un rush des importations des équipements de réalisations, une prise d'assaut des quais portuaires, la construction des bases-vie, la mise en œuvre des expropriations au sujet desquelles le gouvernement affiche une totale et redoutable tranquillité. Une partie de l'autoroute Est-Ouest est d'ailleurs en chantier depuis trois ans. Le paysage de la RN 5 vers Constantine et de la RN 4 vers Oran a déjà changé dans la vallée de l'oued Isser entre Kadiria et la montée vers Bouira ou dans la vallée de l'oued Djer entre El Affroun et Boumedfâa où l'on peut apercevoir les progrès de l'autoroute. D'autres tronçons sont déjà opérationnels comme à l'arrivée sud-ouest de Constantine, à Bouira, ou encore entre Blida et El Afroun sud. La vie quotidienne des Algériens va apprendre à intégrer l'autoroute Est-Ouest dans les années qui viennent. Les Algérois en connaîtront plus intimement une arborescence avec la mise en œuvre imminente du projet de la seconde rocade sud - groupement italo-portugo-algérien - qui va organiser en 24 mois un contournement autoroutier de l'agglomération algéroise de Zéralda à Boudouaou entrant dans la Mitidja à hauteur de Birtouta. Tout le monde finalement sera concerné. Des entreprises algériennes, publiques et privées réalisent aussi des parties de l'autoroute Est-Ouest mises en travaux avant les trois derniers lots de 927 kilomètres. C'est le cas pour les 72 kilomètres entre Hoceinia et Oued Fodda. Il faudra prier - face aux Chinois et aux Japonais - qu'ils ne soient pas les derniers à livrer leur tronçon. Des signes montrent qu'ils sont déjà en retard.