Echaudé par l'affaire Djezzy, miné par l'échec du second opérateur de téléphonie fixe, Lacom, le gouvernement a pris ses dispositions dans le nouveau texte régissant le secteur des télécommunications, actuellement en débat à l'Assemblée populaire nationale, pour éviter des mésaventures similaires. Ce projet de loi, loin d'être une révolution, rattrape néanmoins certains retards dus à l'ancien texte, 2000-03, et apporte quelques nouveautés, comme le principe de la portabilité, qui donne la possibilité à tout abonné de conserver son numéro de téléphone lorsqu'il change d'opérateur. Même s'il ne cite pas explicitement le droit de préemption de l'Etat, le projet de loi fixant les règles applicables aux activités de la Poste, des télécommunications et celles liées aux technologies de l'information et de la communication, le gouvernement a protégé ses arrières. La complication de l'affaire Djezzy, toujours en attente d'être reprise par l'Etat à hauteur de 51% après avoir été transférée sous tutelle du russe Vimpelcom, alors que sa licence d'exploitation avait été vendue à l'égyptien Orascom Telecom, a poussé le législateur à réagir. L'article 151 du projet de loi stipule ainsi, qu'«en cas de cession de la licence, de vente d'équipements et d'infrastructures mis en place dans le cadre de l'exploitation de cette licence, de faillite, de dissolution anticipée ou de cessation d'activité de l'opérateur, l'Etat se réserve le droit d'acquérir les actifs de l'opérateur». Le gouvernement réaffirme et renforce une position déjà exprimée à travers la loi de finances complémentaires de 2009, qui stipulait que «l'Etat, ainsi que les entreprises publiques économiques, disposent d'un droit de préemption sur toutes les cessions de participation des actionnaires étrangers ou au profit d'actionnaires étrangers». Il faut dire que l'affaire Djezzy risque de coûter cher à l'Etat, car si la licence d'exploitation du réseau GSM a été cédée à Orascom Telecom pour 735 millions de dollars, son rachat auprès de Vimpelcom risque de coûter 10 fois plus. Le russe réclamant 7 à 8 milliards de dollars alors que l'Etat algérien ne serait pas disposé à dépenser plus de 4 à 5 milliards de dollars. Tout cela aurait pu être évité si un tel aspect avait été «pris en compte dans le cahier des charges fixant les conditions préliminaires», estime un expert en télécommunications. Selon lui, «le problème des lois reste leur exécution, car il y a toujours des zones d'ombres et des interprétations différentes». Signe d'ouverture Pour certains observateurs, les législateurs ont «une manie» et parfois même font « exprès» de produire des textes qui peuvent avoir «différentes interprétations, pour se garder une marge de manœuvre» et qui se traduisent souvent par des situation de «blocage». Le gouvernement feindrait l'ouverture, tout en prévoyant des garde-fous à même de maintenir le statu quo. Ainsi, l'article 123 précise que «les opérateurs de réseaux publics de télécommunications fixes sont tenus de donner droit aux demandes de dégroupage émanant d'autres opérateurs». Autrement dit, l'opérateur historique Algérie Télécom est tenu d'ouvrir son réseau aux opérateurs tiers sur le segment de la boucle locale, soit la partie du réseau filaire reliant l'abonné final au principal centre téléphonique local. Le dégroupage étant défini par le texte de loi comme «l'accès à la boucle locale d'un opérateur fixe pour la fourniture de services de TIC». L'on se souvient que le dégroupage avait été l'un des principaux points d'achoppement ayant conduit à la faillite de l'opérateur égyptien Lacom, entré sur le marché algérien en 2005 suite à l'acquisition de la deuxième licence de téléphonie fixe pour 65 millions de dollars et sorti en 2008 après avoir perdu 42 millions de dollars durant l'année 2006. Lacom accusa le gendarme du marché, l'ARPT, de parti pris et d'être à l'origine de ses déboires, car n'ayant pas «donné suite à la demande concernant le dégroupage avec l'opérateur historique Algérie Télécom», tandis que ce dernier réduisait ses prix «au-dessous du coût de revient». Lacom avait, en effet, demandé un dégroupage partiel lui permettant de lancer une offre ADSL, comme cela avait été possible pour le provider Internet EEPAD. L'actuel ministre du secteur, Moussa Benhamadi, PDG d'Algérie Télécom, avait estimé, quand Lacom avait quitté le marché algérien à l'époque, que la vente d'une nouvelle licence fixe en Algérie était «inutile». Dans le nouveau texte de loi, une brèche est ouverte, certes, mais le législateur renvoie cette disposition aux textes d'application, en précisant que «les conditions et modalités liées au dégroupage sont précisées par voie réglementaire». Conflit d'intérêt La voie réglementaire est également nécessaire dans le cas de la disposition prévoyant de soumettre l'agrément des terminaux et équipements de télécommunication à un second contrôle de conformité après celui de l'ARPT (art 171). L'Autorité de régulation a déjà réagi à cet article, y dénonçant implicitement un conflit d'intérêt dans lequel le ministre serait impliqué du fait que son frère, Abderrahmane Benhamadi, est PDG du Groupe Condor, spécialisé dans les produits de l'électronique, informatique et des télécommunications et qui avait lancé il y a quelques semaines le premier smartphone algérien. Selon Ahmed Damou, expert en télécoms, «si cette disposition conduit à une multiplication d'interlocuteurs ou une redondance des procédures de contrôle, alors elle serait un contresens» et de toute manière «si contrôle il y a, il faudra systématiquement éviter qu'une institution soit juge et partie. Si contrôle il faut, il doit être fait par un organe indépendant relevant de la Présidence ou du Premier ministère». Cette disposition n'a pas fini de provoquer la polémique en attendant le sort qui sera réservé par les députés à ce texte.