Tunis. De notre correspondant Alors que personne ne s'y attendait, aucune échéance électorale n'étant fixée à l'horizon, le président de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, a annoncé en début de semaine sa candidature à la magistrature suprême, prenant de court ses alliés, avant ses concurrents. Qu'est-ce qui explique une telle initiative ? Béji Caïd Essebsi s'est déclaré candidat à la présidentielle alors qu'il sait pertinemment que le projet de la Constitution, en cours d'élaboration, inclut un article de limitation supérieure d'âge à 75 ans, tandis que Béji en a 86. «Dans les démocraties, de tels articles n'existent pas», a-t-il déclaré, en se disant indifférent par rapport à une telle réserve. «C'est Ben Ali qui a introduit de tels amendements pour des raisons d'exclusion ciblée», a-t-il ajouté. BCE fait-il donc du forcing ? Tous les observateurs sont convaincus que ce vieux briscard de la politique, qu'est Béji Caïd Essebsi, a pris, à travers cette initiative, une longueur d'avance sur les autres composantes de la scène politique, dans la mesure que c'est lui qui a choisi l'heure d'entrée en scène. Ses propos sont par ailleurs des signaux à tout le monde : les différentes ailes de son parti, ses alliés au sein de l'Union pour la Tunisie et ses détracteurs, notamment les islamistes d'Ennahda. Pour le politologue Hamadi Redissi, le président de Nidaa Tounes a fait d'une pierre trois coups. D'abord, il met de l'ordre dans sa propre maison, où beaucoup de candidats s'apprêtent à se disputer la place de candidat à la magistrature suprême, ce qui risquerait de se répercuter sur l'unité de ce parti encore fragile sur le plan structurel. Nidaa Tounes n'a pas encore soufflé sa première bougie et ne peut se vanter de liens solides entre ses structures. Signaux multidimensionnels Selon Redissi, le deuxième signal est adressé par Béji à ses alliés de l'Union pour la Tunisie, formée entre Nidaa Tounes, Al Joumhouri, Al Massar, PS et PTPD. «Cette alliance a un chef qui ne saurait être que lui», leur a-t-il signifié. Dans ses explications sur Nessma TV, il n'a pas fait référence ni aux structures de son parti, ni à celles de l'Union pour la Tunisie. «J'ai réfléchi et décidé, convaincu que l'intérêt du pays doit être au-dessus de celui des partis», a-t-il dit en véritable leader, serein et décidé. Béji Caïd Essebsi a néanmoins adressé une fleur au leader d'Al Joumhouri, Ahmed Néjib Chebbi. «M. Chebbi fait un bon chef de gouvernement», a-t-il dit, ce qui n'est pas peu dans un régime parlementaire aménagé. Ses prérogatives sont mêmes supérieures à celles du président de la République, selon les desseins de la troïka. Mais, si l'on sait que Néjib Chebbi a déjà exprimé des ambitions présidentielles, va-t-il encaisser cette décision unilatérale sans la moindre réaction hostile ? Le troisième signal dans les propos de BCE est adressé, selon Redissi, à la troïka, Ennahda en particulier. Ce signal a une double dimension. Il les met d'une part en difficulté, alors qu'ils s'apprêtent à l'exclure de la candidature suprême, si ce n'est par la loi d'immunisation de la révolution, c'est par la limite d'âge. BCE serait donc victime d'une pratique anti-démocratique, que la troïka serait appelée à assumer. D'autre part, Béji Caïd Essebsi miroite à Ennahda le spectre d'une possible alliance sans l'annoncer d'une manière explicite. «Nous allons respecter les résultats à la sortie des urnes, sans exclure personne, comme on est en train de le faire contre nous», a-t-il dit. Plusieurs médias l'ont compris comme étant une possibilité d'alliance avec Ennahda. Ces médias ont oublié que Béji a dressé un profil à ses alliés avec des fondamentaux incontournables qui sont le drapeau national et les acquis historiques et civilisationnels de la Tunisie, notamment le code de statut personnel. En annonçant sa candidature, Béji Caïd Essebsi place toute la classe politique dans l'obligation de réagir à sa proposition. Or, chacun a son propre calcul et le timing approprié à sa stratégie.