Amnesty International (AI), ONG de défense des droits de l'homme basée à Londres, vient de saisir officiellement le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, par un mémorandum intitulé « Algeria : Torture in the "War on Terror'' » sur la pratique de la torture en Algérie. Amnesty, selon un communiqué rendu public hier, demande au Président de prendre « des mesures efficaces » pour mettre un terme à cette pratique et à la détention au secret de suspects accusés de terrorisme. Dans ce mémorandum de 34 pages, publié et mis sous embargo depuis le 18 avril jusqu'à hier, Amnesty fournit, et pour la première fois, des détails de cas de torture et de mise en détention secrète. Elle accuse ouvertement le Département de renseignement et de sécurité (DRS, ex-Sécurité militaire) de recourir à ce genre de pratiques. Les informations de l'ONG, qui remontent jusqu'à 2002, sont établies sur la base d'analyse de 45 cas de personnes, suspectées de terrorisme, ayant déclaré avoir subi « de mauvais traitements » dans des endroits détenus par le DRS qui exerce également les prérogatives de police judiciaire. Amnesty rappelle, que durant sa visite en Algérie en 2005, avoir demandé aux responsables du ministère de la Justice des clarification sur « le rôle » du DRS dans l'arrestation et la détention de terroristes présumés. « Des responsables de ce ministère nous ont dit que la majorité des cas liés au terrorisme étaient traités par la police. Mais, Amnesty a trouvé des contradictions quant au traitement de ces cas », constate l'ONG qui souligne que le DRS joue « un rôle clé » dans l'arrestation et la détention de suspects de terrorisme. Amnesty International se déclare inquiète par le degré d'application des règles de droit de l'homme en matière d'arrestation, de garde à vue et de traitement des détenus. Elle note que les autorités judiciaires ont été incapables d'engager des investigations sur les cas de mauvais traitements. Elle relève l'inexistence de garanties à quant la tenue de procès équitables des accusés. Selon l'ONG, le délai de la garde à vue, fixé à 12 jours dans le code de procédure pénale, est souvent dépassé. Elle aurait duré, pour l'un des cas étudiés dans le mémorandum, 34 jours. Elle estime que le délai de 12 jours est déjà excessif par rapport aux standards internationaux. « Quand des suspects sont arrêtés et détenus par le DRS, où que ce soit, les garanties du droit international et algérien relatives à la protection des détenus sont régulièrement bafouées. Des suspects non inculpés sont maintenus systématiquement dans des lieux de détention secrets, sans aucun contact avec le monde extérieur, et des actes de torture et autres mauvais traitements sont régulièrement signalés. Les familles des personnes détenues par le DRS ne sont pas informées de leur lieu de détention », relève Amnesty qui rappelle que durant sa visite en Algérie en mai 2005 n'avoir pas pu rencontrer des responsables du ministère de l'Intérieur et de celui de la Défense pour avoir leurs points de vue sur la question. L'ONG évoque l'existence d'endroits non reconnus comme lieux de détention. « Des détenus disent avoir été emmenés dans des baraquements du DRS (...) situés à Alger, entourés de forêts et non accessibles au public. Les détenus sont transférés vers ces lieux dans des voitures non signalées comme appartenant aux services de sécurité », souligne Amnesty qui relève que ni la justice, ni la police, ni la gendarmerie ne dirigent les familles de détenus vers ces « baraquements ». Elle rappelle que l'article 52 du code de procédure pénale algérien autorise le procureur de la République à rendre visite à tout endroit de détention pour s'assurer des droits des prisonniers. « Ce genre de visites n'a jamais eu lieu dans les baraquements du DRS », relève l'ONG. Elle met en avant la Déclaration sur la protection de toutes les personnes de disparitions forcées (adoptée par l'ONU en 1992) qui oblige les Etats à signaler les lieux officiels de détention. « Selon le droit algérien, les membres du DRS ont un statut militaire, mais doivent opérer sous l'autorité du procureur général quand ils arrêtent des suspects et les placent en détention. En pratique, cependant, aucune institution civile n'exerce de surveillance réelle sur les pratiques du DRS. Les procureurs ne font pas respecter les garanties du droit algérien et ne seraient fréquemment pas informés des arrestations auxquelles pro cède le DR », précise Amnesty. Elle souligne que souvent les détenus sont forcés de signer des déclarations « de bons traitements » avant d'être transférés vers les tribunaux. Elle énumère douze cas de terroristes présumés ayant subi la torture. Elle cite, entre autres, Nouamane Meziche (arrêté en janvier 2006), M'hamed Benyamina, les frères Saker, les frères Touati, Mourad Ikhlef, Boubker Sadek, Salaheddine Bennia et Mohamed Harizi. Amnesty International demande au président algérien de « restreindre les pouvoirs du DRS » et d'instituer une surveillance civile efficace de toutes les détentions, afin de « mettre un terme au système de détention au secret et de torture dont le DRS est responsable ». Elle demande au chef de l'Etat de mettre fin à la détention de suspects dans des lieux de détention non officiels et de faire en sorte que les allégations de torture fassent l'objet « d'une enquête, dans le respect des obligations internationales de l'Algérie, et que tous les responsables soient traduits en justice ».