Contrairement à l'idée que se font généralement les gens qui ont peu ou pas du tout visité le Grand Sud, Tamanrasset dispose de toutes les commodités qu'offrent les villes du Nord. Rien n'y manque, pas même les plus récentes marques de yaourt ou de chocolat mises sur le marché à Alger. Cela, à la seule différence que les prix de ces produits y sont souvent « majorés » d'au moins 10 DA en raison du coût de transport exorbitant. La règle s'applique pour toutes les marchandises provenant du Nord. Inutile de dire que la pomme de terre et la tomate, dont le prix du kilo frôle régulièrement les 200 DA, sont considérées comme des produits exotiques. En revanche, les ananas et les noix de cocos sont bon marché. C'est là, sans doute, l'un des inconvénients de vivre à plus de 2000 km de la capitale. Au risque encore de décevoir les amateurs d'exotisme, les habitants de Tamanrasset ne se déplacent pas non plus à dos de chameau ou de dromadaire. ce propos, les touristes ont plus de chance de découvrir la dernière-née de la gamme Toyota à Tam qu'au marché de voitures de Boudouaou, à Boumerdès. En outre, il ne faut pas s'attendre à trouver des dunes de sables au centre-ville de la capitale du Hoggar. Les clichés ont souvent la peau dure, il est vrai. Mais dans le Sud algérien, ils finissent souvent par fondre comme de la neige au soleil. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les rues de Tam sont plus rectilignes et plus propres que certaines artères de la capitale. Ses quartiers sont également mieux conçus... plus aérés. Et généralement, il ne faut pas plus d'une heure pour avoir ses repères. Cependant, il n'y a pas de crainte à se faire. Tamanrasset a bien un cachet urbanistique propre. Le fait est incontestable. Les habitations, souvent couleur rouge sombre, et les édifices publics disposent rarement de plus de deux étages. Même les casernes, qui y sont nombreuses (Tam est une ville garnison), ne dérogent pas à cette règle. Elles se font même discrètes. Cette particularité ne va d'ailleurs pas sans rappeler la ville de Washington District of Colombia (DC), aux Etats-Unis. Dans la capitale fédérale américaine, une vieille règle veut que les bâtiments, quelle que soit leur nature, ne soient pas plus haut ou ne dominent pas le Sénat. Règle qui puise plus du symbole que de l'architecture. Par cette loi, les fondateurs de la démocratie américaine ont tenu à insister sur la suprématie du législatif sur les autres pouvoirs. Lumineuse, l'idée a permis à Washington DC d'échapper au béton et de conforter son image de ville résidentielle. A Tam, les habitations sont avares en hauteur non pas par amour de la justice ou du système parlementaire à l'américaine mais pour ne pas avoir à souffrir des caprices du temps, particulièrement de la chaleur. La comparaison entre Tamanrasset et Washington s'arrête là, malgré l'ambition perceptible de la capitale du Hoggar de mener un train vie d'une ville du Nord et de rayonner sur la région du Sahel. Ambition vérifiable à travers les fonds importants investis régulièrement par les pouvoirs publics pour le développement de la région et les projets dont celle-ci bénéficie à chaque exercice budgétaire. La cherté de la vie amène de nombreux cadres, installés dans cette ville depuis de nombreuses années, à songer à émigrer vers le Nord. « Il est vrai qu'ici j'ai eu l'opportunité d'obtenir un logement et d'avoir un bon salaire grâce aux primes d'éloignement. Sachez toutefois que je n'en profite pas beaucoup. La vie est trop chère. Je me demande si le moment n'est pas venu, pour moi et mes enfants, de repartir à Alger », confie, dépitée, une employée de l'Office du parc national de l'Ahaggar (OPNA) qui a quitté son quartier de Bab El Oued au début des années 1980 pour faire sa vie à Tam. Les clandestins préférés aux médecins spécialistes La situation est davantage plus compliquée pour les nouveaux arrivants, car en plus de subir les contrecoups de l'érosion du pouvoir d'achat, ils doivent faire des pieds et des mains pour dénicher une location. Les logements ne manquent pourtant pas à Tamanrasset. « L'Etat en a bâti suffisamment ces dernières années pour héberger l'équivalent de deux grands quartiers de la capitale », a soutenu un cadre du secteur de l'habitat arrivé à Tam il y a 20 ans. Mais ainsi qu'à Alger, dit-il, les affectations de complaisance ont fini par provoquer une pénurie dont profitent bien évidemment les spéculateurs. La spéculation qui touche aujourd'hui le logement fait qu'un immigrant clandestin originaire du Mali, de la Zambie ou du Tchad a plus de chance qu'un médecin spécialiste de trouver en location un studio ou un F3. Pourtant, les médecins spécialistes ne courent pas les rues. La ville de Tamanrasset a un bel hôpital, mais le manque cruel de spécialistes et de médecins fait qu'il n'est pas d'une grande utilité. Le privé n'offre guère mieux, puisque peu de spécialistes daignent encore s'installer au Sud. A titre d'exemple, Tamanrasset - avec ses 200 000 habitants est un territoire aussi vaste que la France - ne compte qu'une seule gynécologue. Cette situation oblige souvent les malades à aller se faire soigner à Alger au prix fort. Le billet d'avion Tamanrasset-Alger coûte près de 30 000 DA en aller-retour. Quant aux citoyens démunis ou à la bourse modeste, ils n'ont d'autres choix que de rallier la capitale par route. Le voyage peut durer 3 jours... de quoi mourir trois fois. Quand la maladie n'exige pas de soins urgents, ils peuvent toutefois attendre les missions médicales organisées par des associations de médecins d'Alger qui séjournent régulièrement dans les villes du Sud pour se faire soigner à titre gracieux. La dernière équipe de médecins qui a séjourné à Tam est celle activant dans l'association sportive des médecins du Grand Alger, dirigée par le docteur Bendib. Ses membres ont saisi l'opportunité du déroulement, la semaine dernière, du premier marathon du Hoggar pour soigner les malades démunis des villages de la région et réanimer certains services de l'hôpital de la ville. Le plus gros point noir dans la capitale de l'Ahaggar reste la mauvaise couverture médicale dont dispose la wilaya. En plus de ses problèmes propres, Tam vit certainement des soucis comparables à ceux rencontrés au Nord. Mais l'inexistence d'une presse écrite pour en parler fait comme s'il n'y en avait pas. Donc, pas la peine de compter sur la presse pour s'informer. L'underground de Tamanrasset Les éditions quotidiennes de la presse nationale éditées à Alger parviennent à Tam avec plusieurs jours de retard... cela quand elles y parviennent. Sinon, ses habitants ont toujours la possibilité de consulter les éditions électroniques des journaux. Cela, bien évidemment, pour ceux d'entre eux qui ont les moyens de fréquenter les cybercafés de la ville. La connexion assurée par satellite y est excellente... contrairement à certaines villes du Nord. Aussi, pour connaître les dessous de Tam et ses actualités, il n'y a pas mieux que d'avoir de bonnes entrées auprès des notables de la région de l'Ahaggar et d'écouter, de temps en temps, la radio locale, Radio Ahaggar. Il est des sources capables de vous dire, presque en temps réel, ce qui se passe dans le village le plus reculé du Sahara et de vous rendre compte du nombre et de la nationalité exacts des derniers immigrants qui viennent de franchir la frontière avec le Niger ou le Mali. Et Dieu sait qu'il en passe beaucoup tous les mois, malgré les efforts permanents déployés par les services de la gendarmerie et de la police pour endiguer le flux de l'immigration clandestine. A ce propos, Tam est probablement le seul endroit au monde où cohabitent le plus grand nombre de nationalités au kilomètre carré. Il en existe près d'une quarantaine. On y trouve même des immigrants clandestins originaires du Bangladesh et de l'Inde. Si par le passé, les immigrants clandestins considéraient Tamanrasset comme une ville de transit où il faisait juste bon de marquer une halte avant de gagner l'Europe via le Maroc ou la Mauritanie, aujourd'hui elle devient une destination prisée par de nombreux citoyens de pays du Sahel et d'Afrique de l'Ouest en raison des opportunités d'emplois qu'elle offre. La nature multiraciale et cosmopolite de la capitale de l'Ahaggar est perceptible notamment à chaque rendez-vous de la Foire internationale de l'Assihar.La plupart des commerçants qui animent les stands viennent des pays frontaliers et souvent même de plus loin. Mais en dépit de la vocation sahélienne de Tamanrasset, le paradoxe est que l'identité culturelle qui la domine est le résultat d'un brassage du targui, du chaoui, du kabyle et de l'oranais. Le constat est valable pour les villages les plus reculés de la région de l'Ahaggar dont les paysages et les montagnes, uniques, suscitent l'émerveillement à 2728 m d'altitude.