Le Festival international du tourisme a démarré aujourd'hui à Tamanrasset, pendant que la question du tourisme, étranger, local, de masse ou d'élite se pose encore. Ou ne se pose pas, l'essentiel étant d'organiser des rencontres pour ne pas se rencontrer. « Tamanrasset, carrefour des civilisations ». C'est sous ce slogan un peu creux que la ville phare de l'extrême Sud algérien accueille le Festival international du tourisme, du 29 décembre au 1er janvier. Si l'idée est très bonne, tout comme ce concept du carrefour de cultures, encore faut-il arriver à ce carrefour. En dehors des prix des billets d'avion, toujours excessifs (Alger-Tamanrasset est à 28 000 DA pour l'exemple), ne reste que la route pour rallier ce croisement. Et contrairement au terme carrefour, il n'y a pas beaucoup de routes qui mènent à la capitale du Hoggar. En fait, il n'y en a qu'une seule, celle du nord, la RN 1, impraticable en dehors d'un 4X4, de In Salah. 700 km de trous et crevasses, longue ondulation chaotique de goudron arraché, de sable orangé et de pierres saillantes, sur laquelle il faut rouler à 30 à l'heure sous peine de faire éclater un pneu ou pire, un carter. « La Sonatro a commencé à refaire le goudron », explique un jeune gérant de taxiphone debout et rigolard devant son local à Tamanrasset en voyant les véhicules épuisés arrivés du Nord. « Mais la wilaya n'a pas payé, ils se sont arrêtés », a-t-il conclu, un léger sentiment de révolte dans la bouche. La honte est à la mesure du reste de ce qui se passe dans le reste du pays puisque cette route défoncée se nomme la nationale 1, c'est-à-dire la première des routes d'Algérie et base de la transaharienne qui est censée depuis peu rallier Lagos au Nigeria, alors qu'elle n'est même pas capable de rallier In Guezzam en Algérie. Que font les pouvoirs publics alors que le goudron n'est qu'un dérivé du pétrole ? Rien. « Même quand il ne va qu'à In Salah, le wali de Tamanrasset se déplace en avion », explique un chauffeur de taxi qui fait cette route deux fois par jour. « S'il fait la route, c'est en 4X4 et s'il crève, un hélicoptère lui amène un pneu neuf en dix minutes », renchérit l'un des passagers du taxi, originaire d'El Ménéa, à 1000 km plus au Nord. Mais s'il émet quelques réserves sur l'attitude officielle, le jeune gérant du taxiphone est pourtant content de la tenue de ce festival. Et pour cause, l'animation. A travers cette fête et ses dérivés, ce sont tous les jeunes de la région qui se sont déplacés pour danser et changer de quotidien. Les hôtels et pensions affichent complet, même les plus sordides, et à minuit, sous le froid des 1400 m d'altitude, des groupes se forment encore, à la recherche d'une dernière chanson ou d'un dernier repas. Mais il n'y pas que ça. Sous le patronage du ministère de la Culture et donc de son budget d'Etat, le paquet a été mis : au programme, divers colloques, des visites guidées, des festivités de toutes sortes et des allocutions officielles d'officiels censées rappeler que le tourisme est une donnée fondamentale à prendre en considération. Si l'évidence de l'apport du tourisme aux populations locales, durement touchées par le chômage comme dans le reste de l'Algérie, n'est plus à démontrer, se posent deux questions essentielles : comment gérer le tourisme avec ce problème de sécurité dans la région, le nombre de militaires et de barrages sur la route nord étant aussi impressionnant que le nombre de policiers déployés dans la ville de Tamanrasset ? L'autre question est aussi vieille que l'indépendance elle-même : le rapport entre les diverses composantes de ce carrefour de civilisations. Les Européens sont empaquetés dans des 4X4 officiels pour être directement conduits à l'hôtel Tahat pendant que les Touareg sont réduits à l'état de folklore sur les places publiques, et le reste des Algériens sommés de ne pas entrer en contact avec les premiers cités, sauf pour des raisons officielles. Même s'ils en tirent un certain bénéfice, la question du tourisme reste en l'état. Les plus contents sont les plus débordés, ce sont les officiels en costume gris, souvent des gens du Nord, qui courent dans tous les sens, des portables à la main avec la peur visible de ne pas assurer. Ils ont un rôle, celui d'assurer le bon déroulement de ce festival pour pouvoir se reposer après, durant l'année. Heureusement, durant ces quatre jours, les jeunes de la région vont faire la fête comme ils le peuvent et oublier leurs problèmes, et les Algériens descendus du Nord pour l'occasion vont se promener dans la ville, le visage apaisé. Parce que Tamanrasset reste Tamanrasset. Une ville cernée par le désert, où il fait bon ne rien faire quand il n'y a rien à faire.