Faire oublier ses cadres mouillés dans des affaires de corruption. Renouer avec ses électeurs perdus. Se positionner sur l'échiquier politique de 2014. La nouvelle stratégie du MSP sera-t-elle payante ? Il lui faudra en tout cas bien plus que quitter le gouvernement pour s'affirmer comme un véritable parti d'opposition. L'homme a le regard bleu et rieur, l'autodérision facile, la poignée de main chaleureuse. Mais ceux qui connaissent Abderrazak Makri de près vous le diront tous : le politique est un «radical» «sans concession». Ce mardi 7, en marge de sa première conférence de presse de président du MSP, cerné par des bouquets de roses criards, un Bouguerra Soltani renfrogné et les logos du 5e congrès du parti, il a parlé du passage de l'opposition comme d'une question «tranchée», a affirmé que son mouvement «n'était plus tenu à une quelconque solidarité ministérielle» et que la réforme de la Constitution «n'avait plus lieu d'être». Abderrazak Makri compte réussir là où son prédécesseur a échoué alors même qu'il avait choisi de quitter l'Alliance présidentielle : rendre au MSP sa crédibilité, et pour cela, s'inscrire en rupture avec le pouvoir. Officiellement, bien sûr, le discours est plus rond. «Nous n'avons pas perdu notre crédibilité. Nous avons connu des moments très difficiles, notamment après le décès de notre fondateur Mahfoud Nahnah, explique le leader islamiste à El Watan Week-end. Il y a eu un grand débat, qui a duré plus de trois mois, qui a aussi un peu déstabilisé notre mouvement, mais nous en sommes sortis unis et aujourd'hui, nous sommes bien dans notre peau.» Au conseil national, les propos sont aussi très politiquement corrects : Ali Kaddour Daouadji, le vice-président, assure qu'«il n'y a pas rupture mais continuité». Soltani le «Boulet» Mais en coulisses, militants et cadres des partis islamistes, tous courants confondus, l'affirment : l'enjeu est bien là. «Il fallait absolument que le parti se débarrasse du «boulet» Soltani, explique l'un d'eux. Dans un contexte où le président Bouteflika est attaqué de toutes parts, où les chefs de parti connus pour être ses soutiens (Belkhadem, Ouyahia et Soltani, ndlr) disparaissent, c'est le bon moment pour se positionner sur ce nouvel échiquier politique.» Pour autant, peut-on parler d'opposition ? Comme le souligne la politologue Louisa Aït Hamadouche, «toute la difficulté consiste à savoir où commence l'opposition au pouvoir politique et où elle se termine ! Se trouver à l'extérieur du gouvernement ne suffit pas. Avant d'y entrer en 1996, le MSP était déjà un allié objectif du pouvoir. Il existe différentes formes de soutien.» Isabelle Werenfels, politologue spécialiste de l'Algérie à la Fondation sciences et politique de Berlin, estime que la réelle opposition du MSP se jugera plus tard, à ses actes. «D'abord sur leur ligne au niveau national : vont-ils voter contre les projets du gouvernement ? Développer leurs propres projets, un véritable discours alternatif ? Ensuite, au niveau local : sachant que le système algérien essaie de coopter les gens en dehors du système politique, que feront les députés, les élus d'APC sur un terrain où des intérêts économiques sont aussi en jeu ? Vont-ils continuer à jouer selon les règles dominantes ? Bref, cette opposition doit être effective sous peine de rester rhétorique…» Arbitrer Pour certains, Makri incarne cet homme du changement que le parti attendait. «Makri est un homme intègre, c'est certain, assure un de ses proches. Mais aujourd'hui, il doit absolument intégrer le fait qu'il n'est plus le représentant un peu radical d'une frange du mouvement. En tant que président, il doit désormais arbitrer.» Hamlaoui Akouchi, secrétaire général d'El Islah, renchérit : «On ne doute pas de son tempérament d'opposant ! D'ailleurs, Mustapha Benbada (ministre du Commerce, ndlr) pourrait bientôt passer devant le conseil de discipline du parti. Car il n'est pas concevable de se prétendre parti d'opposition en ayant un ministre à l'intérieur de ce même gouvernement ! Pour y participer, il faudrait obtenir une majorité parlementaire, sur le modèle turc. Dans cette même logique, Makri pourrait se rapprocher de Menasra dans le cadre de l'élargissement de l'Alliance verte…» Louisa Aït Hamadouche estime aussi que la récupération de Abdelmadjid Menasra, leader du Front pour le changement, sera «une étape importante de ce “nouveau“ MSP qui cherche en réalité à revenir aux statuts du parti tel que Nahnah l'avait créé». Abdelouakib, militant, parle, lui, de «MSP relooké». «Ce n'est plus un mouvement qui paye cash. Notre président a choisi d'agir autrement. Un mouvement aussi enraciné dans la société doit participer à la présidentielle avec son propre candidat.» La politologue en est aussi convaincue : le MSP est en train de préparer 2014. «Si face au candidat du système, il dégage un candidat qui fasse à la fois consensus parmi les Frères musulmans et un score honorable, le pari sera gagné pour Makri, analyse-t-elle. Ou alors il devra réussir le même type de négociation de Nahnah en 1999, quand il avait retiré sa candidature au profit de Abdelaziz Bouteflika. C'était un fin politique qui avait su négocier un statut pour son parti, au sein de l'Alliance présidentielle, devenu de fait aussi influent que le FLN et le RND.» Rendre des comptes Mais parmi les islamistes, d'autres estiment qu'il ne faut pas faire du tournant qu'est en train de prendre le mouvement «une affaire d'hommes mais une question de programme», selon Kamel Attach, membre du bureau national d'Ennahda et chargé de l'organique. «Ce n'est pas l'élection de Makri qui amène le changement mais les résolutions du congrès», assure aussi Boubakeur Gueddouda, député MSP. Soltani est arrivé au terme de sa législature et il a décidé de ne pas se représenter et a permis à Makri, qui est un président jeune (il a 53 ans, ndlr), d'être élu démocratiquement. Parce que chez nous, l'alternance est une réalité ! On a voulu de la clarté sur la scène politique et on veut assumer complètement. Quand nous étions dans le gouvernement, nous n'avions aucune marge de manœuvre. Nous étions des associés mais nous n'avons jamais discuté de notre poids !» Dans les autres partis, on ricane. «Le MSP, machine qui lave plus blanc que blanc !, ironise Ali Fawzi Rebaïne, président du parti Adh 54. Soyons sérieux, il ne suffit pas de dire que l'on est dans l'opposition pour en être. Le MSP a fait partie du gouvernement pendant douze ans ! Il doit d'abord rendre des comptes, car il a contribué au marasme politique, économique et social dans lequel nous vivons.» Du côté de Tajamou Amal El Jazaïr, créé suite à une dissidence d'ordre idéologique avec le MSP, le discours volontariste des cadres du MSP masque en réalité une erreur d'évaluation. Barbus modérés «Le MSP a quitté le gouvernement en pensant que l'Algérie connaîtrait aussi un Printemps arabe, explique un membre du club néo-islamiste de Amar Ghoul. Dans les années 1990, quand l'Etat – et je parle bien d'Etat, pas de gouvernement – était menacé, le MSP a fait le choix d'entrer au gouvernement ! Pourquoi le quitter ainsi, sans réfléchir ? A TAJ, nous sommes aussi en faveur du changement, mais nous pensons qu'il doit se faire en douceur par des réformes.» Reste à savoir si, dans un paysage où l'opposition ne peut être que «formelle», ces islamistes-là, qui se réclament «première force politique d'opposition», auront la latitude de mobiliser un nouvel électorat, potentiellement important. «Oui, le MSP ne fait peur à personne, relativise un ancien cadre de l'administration. D'abord parce qu'ils ont toujours incarné des barbus modérés en cravate. Ce sont des opposants soft. Ils n'appelleront jamais à l'insurrection comme le FIS. Il ne faut pas oublier que Bouslimani, le président de leur association caritative phare, El Irshad oual Ihsane, a été tué par le GIA ! Et puis parce que le pouvoir a su acheter la plupart de ses leaders en leur donnant des portefeuilles où il y a de l'argent. Si un jour ils venaient à avoir plus d'influence, le pouvoir sait très bien que le MSP ne touchera jamais à ses intérêts économiques.»