Auteur emblématique du roman noir, l'écrivain américain Dashiell Hammett (1909-1984) avait fait un retour en grâce dans les faveurs des lecteurs du monde entier. C'était dans les années soixante-dix du XXe siècle, et le roman policier, dans lequel excellait Dashiell Hammett avait été réhabilité comme genre majeur dans la foulée de la redécouverte d'auteurs aussi époustouflants que Horace Mc Coy ou Chester Himes. Dashiell Hammett était manifestement un cran au-dessus, car son œuvre le caractérisait, pour le grand public, comme un romancier hors pair. Né en 1894 à Baltimore dans l'Etat du Maryland, Dashiell Hammett grandit à la dure, dans un contexte familial très défavorable qui l'empêche de mener une scolarité normale. Il est très précocement conduit à gagner sa vie et à aider ses parents. Il accepte tous les petits travaux occasionnels que lui confient des employeurs peu regardants à l'âge de leurs effectifs. Cette expérience enrichit pourtant Dashiell Hammett qui a appris à ne compter que sur lui-même. De tous ces métiers, il en est un auquel il va s'attacher durablement et qui lui servira à tisser la trame de son œuvre littéraire. C'est l'emploi de détective privé qu'il a pu décrocher dans la célèbre, l'historique agence Pinkerton. Dashiell Hammett n'y est pas l'enquêteur le plus en vue, mais c'est au cœur de la fameuse agence qui rayonne à travers les Etats-Unis qu'il est au contact des affaires criminelles qui serviront ses écrits. Car Dashiell Hammett, encore très jeune, a commencé à rédiger des nouvelles tout en maturant des projets plus ambitieux de romans élaborés dont il construit mentalement la structuration. Au contact des affaires criminelles traitées par les fins limiers de Pinkerton, Dashiell Hammett a été amené à poser un regard distant sur les institutions officielles. L'appareil judiciaire lui paraît inadapté à prendre la mesure de la délinquance de tous ordres qui sévit comme un terrible fléau dans la société américaine. Dans son roman La moisson rouge (The Red Harvest) décrit l'Amérique à travers Personville, localité typique mise à feu et à sang par un gang sans foi ni loi. C'est le triste sort de cette ville que décrit le narrateur de La moisson rouge qui est en même temps le détective chargé par Wilson, un magnat de la presse locale, d'enquêter sur le réseau criminel qui terrorise la ville. Wilson est assassiné et son père, désireux de le venger, paye le détective pour nettoyer la ville au prix, s'il le fallait, d'un bain de sang. Cette violence et le recours à la vengeance traversent un autre maître-roman de Dashiell Hammett, La clé de verre (The Glass Key), dont l'intrigue se situe dans un arrière-plan électoral. Le fils d'un candidat aux municipales est assassiné dans des conditions horribles et le lieutenant Ed Beaumont, chargé de l'enquête, va aller de surprises en déconvenues avant de parvenir à faire éclater la vérité. Il y a chez Dashielle Hammett, dans ces deux romans, une constance dans le pessimisme, une dose de cynisme aussi, car l'auteur ne nourrit que peu d'illusions sur les vertus humaines. Sans doute Sam Spade, son héros dans Le faucon maltais (The maltese falcon) est-il son double. Considéré comme son chef-d'œuvre, Le faucon maltais exprime d'une certaine manière la propre quête symbolique de Dashiell Hammett. Sam Spade est un archétype que l'auteur a peut-être bâti à sa propre image avec ces traits de caractère aussi récurrents que l'absence de compassion pour les fautifs, cette capacité d'introspection et d'une certaine manière aussi une certaine propension à l'amoralité. L'œuvre romanesque de Dashiell Hammett est en fait sans nuances ni concessions par rapport à la morale. Elle exprime au plus haut point une désillusion. C'est d'ailleurs en cela que Dashiell Hammett est totalement à l'opposé de son grand contemporain et rival Raymond Chandler (1888-1959) qui avec des romans comme Le grand sommeil, Adieu ma jolie ou Le Sam Spade de Hammett ne ressemble certes pas au Philip Marlowe de Chandler. Le magnifique La dame du lac avait construit un univers littéraire plus enjoué, plus serein. La dureté de Dashuell Hammett peut s'expliquer par les circonstances personnelles de sa vie. Ses romans couronnés par un formidable succès public, adaptés au cinéma, consacrés par l'enthousiasme de la critique qui y voyait l'expression de tragédies modernes. Ce n'était pas suffisant pour redonner confiance à Dashiell Hammett qui en était venu à douter de lui-même aidé en cela par une chute vertigineuse dans les méandres de l'alcoolisme. Au point d'interrompre purement et simplement une carrière d'écrivain magistralement engagée. Hammett aura écrit, jusqu'en 1934, pendant une quinzaine d'années avant de tomber dans l'oubli, le silence, la maladie, et de mourir en 1961. C'est seulement quelques années plus tard que justice sera rendue à cet écrivain qui, par la médiation du roman noir, avait été un critique certes désabusé mais lucide et pertinent d'une société qui sépare implacablement les riches et les pauvres, ces damnés de la terre dont Dashiell Hammett avait fait partie dans sa plus tendre enfance. C'est de cette exclusion que son œuvre témoigne aussi en filigrane.