Tout le reste est littératurel'arrivée du livre sur le présentoir du libraire est la dernière phase d'un processus complexe qui associe plusieurs acteurs. Au bout de la chaîne, il y a le lecteur dont dépend le sort de ce livre qui a nécessité une lente, coûteuse, mais nécessaire maturation. Il en est de la sorte partout dans le monde et le champ de l'édition, en Algérie, n'échappe pas à la règle. C'est l'interaction de tous les acteurs du livre qui assure au bout du compte son succès, l'édition étant dans toutes ses étapes une industrie et un commerce. La journée mondiale qui vient d'être dédiée au livre a souligné tous les hiatus qui marquent encore le secteur chez nous. La floraison d'éditeurs privés s'avère, en dépit de leur nombre grandissant, insuffisante pour initier une demande proportionnée à la population potentielle de lecteurs. La raison en est que la fabrication du livre est une opération très coûteuse et que les éditeurs ne bénéficient pas de réelles incitations fiscales qui les porteraient à mettre sur le marché leurs productions à un prix abordable. Le public du livre se forme, en effet, aussi par des effets d'appel. On connaît les prix exorbitants des livres sur le marché algérien, et ils sont à l'évidence dissuasifs. Ils restreignent le flux potentiel des lecteurs, mais davantage encore ils freinent les éditeurs dans leur avancée, car un livre qui se vend cher est dans une large mesure un livre invendu. Par ailleurs, l'investissement est rarement rentable pour ces éditeurs, car les tirages qu'ils font sont très modestes et ne suffisent pas à déterminer une plus-value qui permettrait de maintenir l'activité. C'est aussi le libraire qui est pénalisé dans la foulée car il traîne les livres invendus comme un fardeau, et il doit justifier à l'éditeur que ces méventes ne sont pas de son fait ou du manque d'intérêt pour le livre proposé à la vente. L'écart est ainsi très grand entre les acteurs du livre et leurs lecteurs, aucun éditeur en Algérie n'ayant la capacité d'être présent sur toute l'étendue du territoire national dans la mesure où il ne dispose pas des relais indispensables pour cela. Il n'y a ainsi pas de circuit de distribution adapté aux spécificités du livre, et en plus il n'y a pas en Algérie une quantité de librairies en mesure d'absorber des tirages pourtant relatifs. Ces dysfonctionnements signalent d'abord un déficit d'intervenants qualifiés en amont et en aval du livre. Il ne suffit pas d'avoir des livres de qualité, encore faut-il pouvoir leur assurer les conditions minimales pour exister sur un marché devenu hermétique par la force des choses. Le secteur, dans son ensemble, ne peut pas être soumis aux aléas de l'improvisation. Il faut autant de talent pour écrire un livre qu'il en faut aussi pour le placer sur le marché. Il y a incontestablement des chaînons manquants dans le lourd complexe éditorial, et ils résident pour l'essentiel dans les carences de la formation qui entourent les métiers de la librairie, de la diffusion et des arts graphiques, car le livre est d'abord et surtout un beau produit. C'est en cela qu'il est l'affaire de tous. Tout n'est pas négatif dans ce secteur du livre et de l'édition en Algérie, car au cours des décennies écoulées il y a eu la constitution d'un vaste patrimoine et l'émergence d'auteurs importants qui ont su se constituer en relève des aînés. Il n'en reste pas moins que beaucoup de chemin reste encore à faire, à commencer par la recension des moyens et l'évaluation des objectifs à réaliser. Il n'est pas productif d'en rester, aujourd'hui, à un bilan en trompe-l'œil, car l'industrie du livre ne se suffit pas d'approximations. Les Salons du livre, qui ne peuvent être qu'une synthèse de l'activité éditoriale, ne constituent pas la substantifique moelle de l'édition et du livre. Au départ et au bout du compte, c'est dans l'espace fondateur de l'accès au livre, le librairie, que se joue le destin de tout le secteur. C'est à ce niveau, incontournable, que se fait la rencontre entre le livre et son public. Tout le reste est forcément littérature.