Lorsqu'on évoque la littérature sud-africaine, les auteurs les plus cités sont Nadine Gordimer, André Brink, J. M. Coetzee ou encore Dennis Brutus, Alex La Guma ou Peter Abrahams. Cependant, une nouvelle génération d'écrivains s'affirme. Parmi eux, Zakes Mda apparaît de façon évidente comme l'un des plus doués. En effet, ce romancier sud-africain a su tracer son chemin en étant un artiste complet puisque, au-delà de la littérature, il est aussi peintre et compositeur de musique. A ce jour, ses publications sont nombreuses puisqu'une vingtaine d'ouvrages, dont une dizaine de romans, ont été publiés et traduits dans une vingtaine de langues dont le catalan, le coréen, l'allemand, le turc, l'italien et le français. Zakes Mda est aussi un grand dramaturge, puisqu'il a écrit et monté de nombreuses pièces de théâtre au célèbre Market Theater de Johannesburg que j'ai visité et qui est un lieu magique de renouvellement culturel. Zakes Mda est devenu aujourd'hui membre honoraire de ce prestigieux établissement. Il a aussi publié des recueils de poésie et quelques essais sur la théorie et la pratique du théâtre pour le développement social et politique. Toute cette effervescence culturelle est récompensée par de nombreux prix littéraires, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis et en Italie. Il a reçu, en particulier, le «Amstel Playwrights», un prix décerné aux écrivains des pays du Commonwealth, le prix du «Sunday Times», le prix «Zora Neale». Aux Etats-Unis le prix tant convoité «Richard Wright» lui a été décerné. Un de ses récents romans, Cion, dont l'histoire se déroule dans le sud-est de l'Ohio, a été nommé pour le prix Naacp. Par ailleurs, son autobiographie, Sometimes there is a void : memoirs of an outsider, a été décrétée ouvrage de l'année 2012 par le New York Times ! Ce romancier post-apartheid vit entre l'Afrique du Sud et les Etats-Unis où il enseigne la «creative writing» (écriture créative) à l'université de l'Ohio. Un de ses romans, Rachel's Blues, se déroule justement dans l'Ohio profond, avec une histoire particulière qui raconte le combat d'un violeur qui se bat pour ses droits de paternité sur l'enfant de ce viol. Au plan social, Mda occupe le poste de directeur à la Southern African Multimedia Aids à Sophiatown. Les deux romans qui l'ont placé en tête des auteurs de la période post-apartheid sont : Le pleureur et Au pays de l'ocre rouge. Le premier plonge le lecteur dans le monde dramatique d'un pleureur professionnel nommé Toloki. Avec cette activité qui lui permet de gagner sa vie, il traverse tout le pays, des villages les plus reculés aux bidonvilles insalubres, les townships, où la violence policière est discriminatoire. Toloki, personnage truculent, décrit cette période difficile du racisme d'Etat. Il rencontrera la belle et tragique prostituée, Noria, avec laquelle il pansera les traumas de l'apartheid. L'écriture de Zakes Mda relève du réalisme magique, brossant le portrait d'êtres en quête de calme et de tranquillité dans des townships mis à feu et à sang par des affrontements incessants entre bandes rivales. Toloki et Noria ressemblent à de nombreux Sud-Africains persécutés par la répression policière et le romancier décrit comment l'apartheid engendre des cicatrices qui se referment difficilement. Les communautés blanches et noires s'opposent, des luttes intestines déciment les effectifs des mouvements de libération, une donnée que Zakes Mda révèle dans ce roman sans concession. L'autre roman, Au pays de l'ocre rouge, est une œuvre superbe, tant au niveau de l'écriture que de la thématique. C'est le troisième ouvrage de cet auteur qui l'a construit sur deux histoires enchevêtrées. La première raconte le mythe de Nongqawuse, une prophétesse Xhosa qui, en 1856, avait prédit que si les paysans tuaient leur bétail, les colons anglais partiraient. Deux clans se formèrent, les croyants et les non-croyants de cette prophétie à cause de laquelle 20 000 paysans moururent de faim. En parallèle, une histoire se déroule durant la période postapartheid qui sépare de nouveau cette même population Xhosa en deux clans : les partisans et les opposants à la construction d'un casino. Ainsi, le romancier effectue un va-et-vient entre la période coloniale et celle postcoloniale, le passé et le présent, et il joue sur la relation entre histoire et mythe. Dans la période post-apartheid, c'est la question du travail qui est posée, modernité contre tradition, travail contre immobilisme. Zakes Mda réussit ainsi à écrire un roman fort où émergent les histoires du personnage principal, Camagu, pris dans un dilemme entre les deux femmes qu'il aime et qui appartiennent aux deux camps opposés. Le romancier pose une question essentielle : faut-il s'en tenir à la tradition et aux mythes anciens si ces derniers n'apportent que malheur ? Toute décision doit être personnelle, selon le personnage Camagu. Zakes Mda vient de m'informer que son prochain roman, The Sculptors of Mapungubwe, sera publié en Afrique du Sud et en Inde (Calcutta), en juillet 2013 par Vivlia Publishers. Son œuvre apporte à la littérature sud-africaine noire une nouvelle dimension où l'Histoire et les mythes s'entremêlent, où une écriture subtile et imagée donne une dimension supplémentaire à l'excellente réputation d'une littérature sud-africaine si dense et si bouleversante.