Au moment où se tiennent à Alger les Jeux africains, il est utile de rappeler que l'Afrique du Sud détient un record continental avec deux prix Nobel de littérature. Quand on évoque l'Afrique littéraire, nombreux sont ceux qui en ont une vision monolithique et faussement unificatrice. Pour les spécialistes, la situation est bien plus complexe malgré cette persistance à ne vouloir percevoir qu'un bloc, l'Afrique noire, en ignorant l'Afrique du Nord, attitude basée sur la couleur de la peau, donc raciste et non recevable. Il en va de même lorsque l'on pense à l'Afrique du Sud à propos de laquelle un ouvrage, édité chez Karthala, vient de paraître il y a à peine un mois, démontrant brillamment combien les littératures de ce pays sont riches, multiples et complexes. Ecrit avec une érudition incontestable par Jean Sévry, Littératures d'Afrique du Sud est une source d'informations infinies sur le sujet, pour tous ceux que l'Afrique du Sud intéresse et particulièrement pour les chercheurs et étudiants en littératures africaines. En effet, cet ouvrage mérite d'être connu et commenté, car il donne la possibilité d'acquérir un savoir sérieux et pouvoir aller plus en avant dans la connaissance si on aime la lecture et les nouveaux textes. L'approche méthodologique de Jean Sévry, dans cet ouvrage, se base sur une progression historique de cette littérature, allant de la période précoloniale à la période coloniale en passant par la longue et dure parenthèse de l'apartheid pour aboutir à la période post-apartheid. Ce procédé permet également de comprendre de manière plus profonde ce pays fascinant. L'auteur présente l'Afrique du Sud à son lecteur en ouvrant la porte littéraire avec des textes de fiction qui font rêver et donnent une vision bien différente de l'histoire que celle officielle, celle des pouvoirs. Jean Sévry démontre combien la littérature est édifiante, car les romanciers et les poètes parlent de l'humain dans son vécu. Arrêtons-nous à la genèse de ce pays, que les Blancs avaient déclaré vide de toute population, vierge et donc pouvant appartenir à celui qui l'avait foulé en « premier ». Bien entendu, la version des Hollandais et des Anglais s'appuie sur l'idée qu'ils étaient les premiers arrivants sur ces terres australes. C'est sur cette base qu'ils se sont appropriés l'Afrique du Sud en le consignant dans leurs écrits. La première partie de l'ouvrage raconte comment le mythe de la terre vierge s'est construit. D'une histoire complexe, l'auteur réussit le tour de force de rendre lisible l'histoire de l'Afrique du Sud, grâce justement à l'histoire littéraire et aux textes de références qui donnent une autre interprétation des événements, à l'avantage des Zoulous par exemple, qui étaient bel et bien installés sur ces terres avant l'arrivée des Blancs. Il cite, à ce propos, les textes qui parlent de Chaka, le grand empereur des Zoulous, ce peuple nomade. Ce qui est mis en avant c'est la façon dont les mythes fondateurs se construisent d'un côté comme de l'autre, celui des Blancs et celui des Noirs. L'auteur montre comment l'oralité est un terreau de la littérature noire sud-africaine, évoquée avec pertinence dans sa présence dans le théâtre populaire des Townships. La résurgence de l'oralité se trouve dans la poésie aussi. La naissance de la littérature afrikaner n'est pas exclue du corpus, puisque cette langue est partie intégrante des expressions culturelles sud-africaines d'aujourd'hui, de cette Afrique du Sud « arc-en-ciel », rêvée et désirée par Nelson Mandela. La période de l'apartheid, intitulée Le temps de la séparation dans cet ouvrage, souligne avec force références la montée et la vigueur de cette littérature combattante qui a eu le mérite de recevoir deux prix Nobel : celui de Nadine Gordimer en 1991 et celui de J. M. Coetzee en 2003. La production littéraire des Noirs sud-africains est impressionnante car elle comprend des œuvres de qualité, de haute tenue stylistique, même si elle est une littérature de dénonciation qui frise parfois le militantisme politique. D'ailleurs, Jean Sévry soulève cette question avec honnêteté car certains auteurs faisaient commerce d'une telle situation politique, surtout lorsqu'ils forçaient le trait. Cet ouvrage montre l'abondance des productions littéraires sud-africaines, toutes cultures confondues. Il montre combien les œuvres littéraires des Africains blancs s'inscrivent dans cette terre qui est la leur, ainsi que la richesse de la culture des Sud-Africains noirs et métis. Ce mélange, ce mixage des cultures et des littératures, produit un véritable socle culturel attachant à découvrir. Mais, l'analphabétisme sévit encore dans ce pays malgré sa richesse et ses progrès. Le problème du sida est réel et les écrivains commencent à l'évoquer dans leurs fictions pour mettre en garde. C'est un véritable fléau d'aujourd'hui. Jean Sévry le souligne et termine son ouvrage en étant à la fois optimiste et pessimiste, affirmant que l'Afrique du Sud est un pays « tenaillé par la peur qui se nourrit autant de folles espérances que d'amères désillusions ». Les bibliothèques universitaires algériennes devraient acquérir cet ouvrage didactique et finement analysé, pour le bonheur de ceux qui s'intéressent à la littérature africaine, une lecture inspiratrice pour cet été. Jean Sevry, Littératures d'Afrique du Sud. Editions Karthala, Paris, mai 2007.