Le complexe sidérurgique d'El Hadjar va enfin revenir dans le giron des capitaux marchands de l'Etat. La nouvelle, tombée il y a quelques jours, est depuis relayée, saluée et, par certains, prise avec de la mesure. Car si on veut bien mettre en avant tout le bien qu'une telle perspective pourrait faire aux sidérurgistes d'El Hadjar, on omet malheureusement de se pencher sur ce que cette opération va coûter au Trésor public et finalement au contribuable. D'autant que des voix s'élèvent pour dire que débourser 100 millions de dollars pour prendre le contrôle du capital et accorder un crédit de 700 millions de dollars, c'est trop cher payé pour une renationalisation. D'autres diront que c'est du vol qualifié ! La semaine dernière, la nouvelle que tous attendaient depuis quelques mois se confirmait. Le groupe public Sider, qui détenait depuis la privatisation du complexe d'El Hadjar, en 2001, 30% du capital, allait bientôt reprendre le contrôle des usines de Annaba et des mines de Tébessa en augmentant sa part à 51%. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une vente des actifs que détient le sidérurgiste européen ArcelorMittal, Sider réussira à augmenter ses parts en participant majoritairement à la recapitalisation de l'entreprise. Ainsi, Sider injectera plus de 100 millions de dollars et ArcelorMittal 56 dans le capital du complexe, lequel est actuellement de 150 millions de dollars. Le capital de l'entreprise passera ainsi à 306 millions de dollars. Une recapitalisation qui, associée à un crédit de 700 millions de dollars, permettra de financer «un plan d'investissement vital» pour le complexe. Les syndicats jubilent. On évoque un passage imminent au CPE. On parle même de la publication, le 19 juin, d'un communiqué commun devant sceller l'accord trouvé entre les partenaires après plusieurs mois de tractations. Le hic est que les actifs d'El Hadjar ne valent pas, en termes comptables, le dixième de ce que le gouvernement algérien est prêt à y injecter. Pis encore, ArcelorMittal est le seul à bénéficier de cette opération, car il profitera d'un financement sur fonds algériens pour la réhabilitation de l'entreprise qu'il a eu à gérer durant plus d'une décennie. Sachant aussi qu'un retrait d'El Hadjar aurait pu coûter à ArcelorMittal le triple de ce qu'il est prêt à mettre aujourd'hui dans la recapitalisation du complexe. En fait, la valeur des actifs nets réévalués du complexe d'El Hadjar est en zone négative. Selon des sources proches du dossier, celle-ci oscillerait entre 25 et 30 millions de dollars. Certains s'étonneront de voir qu'un complexe sidérurgique s'étendant sur 800 ha et possédant des mines soit évalué de cette manière. Pourtant, l'explication est simple. Le terrain d'assiette appartenant à l'Etat algérien, ArcelorMittal ne bénéficie que d'une concession de 99 ans. Aussi, une décennie de désinvestissement au niveau du complexe dans lequel il détient 70% des parts aura fini par conduire à l'obsolescence de ses principales infrastructures. Le compte, au final, est simple à faire. Mis à part le laminoir à rond à béton acquis en 2004 dont la valeur actuelle est de 50 millions de dollars, le reste des structures est à zéro. Si l'on additionne le poids de la dette de 120 millions contractée auprès de la Société Générale et rachetée par la BEA ainsi que les faibles résultats des mines, des pertes enregistrées par le complexe de Annaba évaluées à environ 4 millions de dollars, les situations des mines et des unités industrielles, les besoins en fonds de roulement et en financement stratégique ainsi que l'Equity, le résultat serait forcément négatif. Un scénario de sortie catastrophique Certains joueront à l'avocat du diable et insisteront sur le fait que le gouvernement algérien ne rachète pas d'actifs à ArcelorMittal et qu'au final, ce dernier n'empoche rien. Ils iront même jusqu'à prétendre que c'est une recapitalisation et que le partenaire mettra de l'argent dans le complexe grâce à cette opération. Ce qui n'est pas faux. Cela n'empêche pas le sidérurgiste mondial de faire une véritable bonne opération. D'abord, parce qu'il n'aurait de toute façon pas pu échapper à une recapitalisation, car conditionnée par la BEA avant le reprofilage de son crédit. On peut donc dire que le sidérurgiste s'en sort à bon compte. Ensuite, parce qu'une sortie du complexe d'El Hadjar aurait coûté au sidérurgiste plus de 170 millions de dollars, à supposer qu'il ait décidé de limiter les pertes et d'arrêter l'unité de Annaba. Dans le scénario de sortie, qui aurait pris dans le meilleur des cas 18 mois, ArcelorMittal aurait dû payer des charges de personnel, des indemnités, des sous-traitants durant encore 6 mois et des charges de stockage et de manutention. Il est ainsi aisé pour quiconque de se demander pour quelle raison accorde-t-on à un investisseur ayant conduit le complexe d'El Hadjar à l'obsolescence, faisant fi de ses engagements, non seulement l'avantage d'une recapitalisation, mais un crédit de 700 millions de dollars qui n'est garanti que par l'hypothèque d'un complexe qui ne les vaut pas et la promesse d'un remboursement que le redémarrage d'unités de production ayant bénéficié de nouveaux apports pourra enfin permettre. L'on s'interroge aussi pourquoi il n'a pas été exigé d'ArcelorMittal de garantir les nouveaux crédits de la BEA à hauteur de sa participation. Certains diront que les Algériens ont besoin du partenaire étranger, d'abord pour son savoir-faire, même si celui-ci a déjà eu une dizaine d'années pour le transmettre. Ils diront aussi qu'El Hadjar doit bénéficier des achats groupés du groupe ArcelorMittal en matières premières comme le coke ou encore la pellette (minerai enrichi qui devrait servir à optimiser le rendement du haut fourneau). Mais ils oublieront de préciser que dans l'approche groupe, Annaba importera son coke des unités d'ArcelorMittal basées en Espagne. D'autres mettront en avant la nécessité de valoriser les hauts fourneaux dans la perspective d'une exploitation des mines de Gara Djebilet. Tandis que les syndicalistes, toujours fidèles au discours travailliste, diront et le disent déjà d'ailleurs que «l'incertitude commence à s'estomper et l'horizon du complexe tend à s'éclaircir» pour le plus grand bien des travailleurs, mais aussi de toute la région. Ils font pression et se jettent de tout leur poids pour pousser à une concrétisation et une officialisation des plus rapides du projet d'accord. Du côté d'ArcelorMittal, tout comme du côté du ministère de l'Industrie, on affiche l'obligation de réserve et on refuse d'évoquer l'accord. Serait-ce juste dans le seul souci de respecter le protocole ? Le ministre de l'Industrie se plaît à penser qu'il faut accorder la priorité à la préservation des intérêts nationaux. Or, à la lumière des derniers éléments en place, on est en droit de s'interroger si le dossier a été pris sous toutes ses coutures et qu'il est plus que temps de ne plus se précipiter.