Son amitié avec le Président, sa charge contre le pouvoir et son combat pour que la génération «tab jnanou» quitte la scène politique. Naïma Salhi, présidente du Parti de l'équité et la proclamation (PEP), balance ses vérités à El Watan Week-end. -Comment jugez-vous la communication officielle autour de la maladie du Président ? Je tiens à rappeler que nous ne nous réjouissons pas de la maladie du Président, mais nous avons le droit d'être informés. J'estime par conséquent qu'il y a trop de zones d'ombre autour de cette communication. Au lieu de rassurer, elle favorise les plus folles rumeurs. Comment prendre au sérieux les nouvelles rassurantes de la santé du Président, alors que nous n'avons aucune preuve que cela soit vrai ? Dans les pays qui se respectent, on diffuse des images et on publie des bulletins de santé, ici rien de tout cela. En plus, si les institutions de l'Etat, et là je veux parler de celles qui sont en charge de l'information, avaient un semblant de crédibilité, nous ne serions pas arrivés à une telle situation, où l'on dénie le droit aux Algériens d'être informés. -Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle du pays et de l'absence prolongée du président Bouteflika ? La situation actuelle doit rapidement trouver une solution. Le Parti de l'équité et la proclamation a une position claire sur ce qui se passe actuellement en Algérie : il demande au président de la République de se retirer. Nous condamnons sa volonté de se maintenir à son poste, alors qu'il n'a plus les moyens physiques pour le faire. Même si Bouteflika a voulu agir pour le bien du pays, aujourd'hui son état de santé ne lui permet plus d'assumer sa charge. En réalité, cette situation, qui dure depuis sa première hospitalisation, a permis à son entourage d'agir à sa guise et de mener le pays à la catastrophe. Il faut que cela cesse. L'Algérie a besoin d'un autre Président apte à prendre les choses en main. Je voudrais ajouter que nous sommes dans une phase de transition générationnelle qui doit permettre à une nouvelle génération d'hommes et de femmes politiques d'émerger et d'assumer les plus hautes fonctions de l'Etat. C'est l'occasion pour cette génération de reprendre le flambeau. -Justement, les nouveaux partis politiques réclament à leur tour le pouvoir, sans proposer de programme... C'est faux. Nous avons un programme qui peut être mis en application dans l'immédiat. Nous sommes prêts à contribuer au débat politique et à la gestion du pays. D'ailleurs, certains ministères ont pris attache avec nous pour appliquer les propositions que nous avons formulées dans notre programme. -Vous demandez le départ du Président, alors que vous l'avez soutenu par le passé... C'était un ami et je ne l'ai jamais caché. Je l'ai soutenu lors de ses deux premiers mandats et aidé à faire passer le texte sur la réconciliation nationale, et ce, malgré les réticences de l'institution militaire et des services de sécurité. Lors du troisième mandat, il était clair qu'il n'avait plus la même énergie, la même volonté. J'ai compris que ce mandat serait celui de trop. Mais je n'ai pas osé le lui dire. Malgré tout, je pense que l'amitié ne doit pas nous aveugler et j'ai toujours mis l'intérêt du pays au-dessus de tout. Je n'ai rien contre l'homme que je respecte toujours, mais je m'élève contre sa volonté de rester au pouvoir, alors qu'il n'a plus les capacités d'assumer la fonction de chef d'Etat. -Mais c'est grâce au Président que vous avez rejoint le FLN en 2003… Effectivement, c'est le président d'honneur du parti qui m'a demandé de rejoindre le FLN. J'ai accepté, parce que j'ai pensé pouvoir y apporter ma contribution. Mais très vite, j'ai compris que j'avais peu de chances de faire bouger les choses. C'est pour cela que je suis partie et j'ai fondé le Parti de l'équité et la proclamation. C'est la seule voie pour une Algérienne ne faisant pas partie du sérail d'aller au bout de ses convictions. Car les partis traditionnels sont aujourd'hui sclérosés. Ils ne pensent qu'à garder leurs privilèges. -Revenons sur la succession qui se met en place. Des noms circulent dans la presse, mais aucun ne fait partie de cette nouvelle génération... Je suis d'accord. Quand je lis les noms avancés par la presse, je suis atterrée. Prenez Mouloud Hamrouche, qui a 71 ans. Qu'est-ce qu'un homme politique de cet âge peut encore donner à un pays dont plus de 75% de la population ont moins de 25 ans ? C'est pour cela que j'en appelle à l'institution militaire, seule en mesure d'assurer une transition. Et à laquelle doit être associée la classe politique. Ce n'est qu'à la fin de cette période que le choix devra se porter sur un candidat du consensus, qui ne devra pas dépasser un certain âge. D'ailleurs, pour que la génération «tabe jnanou» soit définitivement hors circuit, je suis favorable à ce qu'on fixe un âge limite à tout candidat à la présidentielle. -Zeroual peut-il être cet homme du consensus durant cette période de transition ? Il a effectivement toutes les qualités pour être la personne la mieux indiquée. Zeroual est un homme d'Etat et non un homme de pouvoir, accroché à son poste. Il l'a déjà démontré lors de sa démission de ses fonctions. Cela ne concerne que mon avis personnel et n'engage pas le parti. -Aujourd'hui, le PEP fait partie du groupe des 14, dominé par le parti Hamas... Jamais. C'est ce que certains veulent laisser accroire, mais il n'en est rien. Hamas est un parti pragmatique qui n'aurait jamais rejoint le groupe s'il avait la certitude de pouvoir, à lui seul, représenter l'opposition. Il a besoin du groupe pour être plus fort, et le groupe a aussi besoin de lui. -Mais des divergences sont apparues dans le groupe à propos de l'organisation des élections anticipées et de l'application de l'article 88 de la Constitution... Il n'y a pas de divergences, car dès le départ, on s'était mis d'accord sur le fait que chaque parti garde ses positions et ses principes. Au sein de notre parti, nous ne sommes pas favorables à l'organisation de l'élection présidentielle anticipée et nous sommes contre l'application de l'article 88, dans les conditions actuelles. C'est pour cela que nous réclamons une période de transition avec la formation d'un gouvernement d'union nationale. -Avec Louisa Hanoune, vous êtes les deux seules femmes politiques à diriger un parti.Qu'est-ce qui vous différencie ? Tout d'abord, ce qui nous distingue est d'ordre idéologique. L'autre grande différence réside dans la façon dont nous analysons la situation actuelle. Louisa Hanoune est incapable, du fait de son amitié avec le Président, d'avoir une position objective. Elle défend bec et ongles le Président en toute circonstance. Je conçois les choses autrement. Même si j'ai été proche du Président, j'ai toujours refusé que cela puisse altérer mon jugement et mes convictions. -Pourquoi vous voulez relancer le projet de loi sur la criminalisation du colonialisme ? Nous considérons au parti que l'adoption de cette loi est la seule manière d'apaiser nos relations avec la France. Il faut que la France reconnaisse ses crimes et qu'elle dédommage l'Algérie. Mais nous constatons qu'il y a absence de volonté politique de la part des plus hautes autorités de l'Etat à faire voter cette loi. Le Président a pesé de tout son poids pour que le projet de loi soit enterré. En réalité, le président Bouteflika a préféré satisfaire l'Etat français au détriment de son peuple. Car toute une classe politique nationale a des intérêts avec la France et a eu des postes de responsabilité grâce au soutien et à l'appui de la France.