Les écrivains algériens ont attiré du monde et suscité curiosité et intérêt. En préambule, il faut signaler que la pluie qui s'est abattue sur la ville de Montpellier n'a pas découragé les amoureux de la littérature algérienne et du livre en général. Les multiples débats ont fait salle comble. Une curiosité et un engouement qui ne se sont pas démentis durant les trois jours de la Comédie du Livre. Les tables des écrivains d'Algérie – qui était l'invitée d'honneur de cette 28e édition – n'ont pas désempli un instant. Il faut dire que, de 10h à 19h, c'était un défilé incessant de centaines de curieux cosmopolites avec une dominante de la communauté algérienne. Les lecteurs jubilaient à la vue de leurs auteurs préférés et les échanges furent intenses et conviviaux. C'était un spectacle permanent pour les curieux qui étaient friands des joutes à ciel ouvert grâce aux réponses données par les écrivains. Une vraie leçon d'histoire littéraire qui s'écrivait en plein air. On pouvait, à travers ce qui se disait devant le stand, recueillir «les fragments d'un discours sur la littérature algérienne dans toute sa richesse». D'abord, honneur aux dames. Ahlam Mostaghanemi, avec son élégance habituelle et sa gentillesse légendaire, a tenu à rester debout, tout au long de sa présence au stand, pour échanger sans rétention avec ses lecteurs. Aussi, lorsqu'une lectrice lui fait remarquer son insatisfaction par rapport à la traduction de son best-seller, Mémoires de la chair, de l'arabe au français, la réponse de l'auteure fuse franchement : «Oui, vous avez raison et je pense proposer prochainement une nouvelle traduction.» Un autre lecteur ajoute : «Ce roman, il faut le lire dans sa version originale pour apprécier son lyrisme et sa beauté.» Avec la même franchise, l'écrivaine algérienne aborde avec nous le sujet du prix des livres en France qu'elle trouve vraiment chers et inabordables. Tout juste à côté, Amin Zaoui essaye de rassurer tant bien que mal les nombreux lecteurs venus s'enquérir de son nouveau roman Le dernier juif de Tamentit (Editions Barzakh, Alger). Ce roman n'était pas disponible et l'écrivain a promis à tous les lecteurs déçus qu'il y aurait, dans un avenir proche, une coédition avec une maison française. Derrière un attroupement de lecteurs, on arrive à distinguer difficilement le visage de Boualem Sansal, plongé qu'il était dans la masse de livres tendus par des dizaines de mains pour décrocher le sésame de la signature. Boualem Sansal répond affablement aux sollicitations des lecteurs avant de s'éclipser avec des étudiants de l'université de Montpellier pour un entretien filmé. Entre deux prises de vue au grand cimetière de la ville, nous lui glissons une question sur son dernier roman, Rue Darwin, qui porte notamment sur sa relation avec sa mère. L'auteur parle avec émotion de cet épisode. Il dit : «Il y a un fait indéniable, c'est toujours après le départ des êtres chers qu'on se rend compte des choses qu'on aurait pu leur dire. Mais, en même temps est-ce qu'on peut tout leur dire ?» Les étudiants qui ont réalisé l'entretien étaient satisfaits des réponses obtenues et de la disponibilité de l'auteur. Parmi les découvertes, signalons l'émergence d'Amara Lakhous avec son parcours exceptionnel d'écrivain italophone. Les lecteurs viennent vers lui après l'avoir vu dans les débats en se souvenant de sa perspicacité. Amara Lakhous nous dit toute sa satisfaction de cet événement littéraire important auquel il participe pour la première fois. La curiosité du public, laisse libre cours à un flux de questions, comme celle qui a trait au regard que portent les Italiens sur ce phénomène d'immigration africaine et moyen-orientale qui est nouveau pour eux ? Amara Lakhous, avec une voix calme et posée répond : «Je ne vous apprends rien en vous disant que l'Italie, c'est d'abord et avant tout, une terre d'immigrants. On retrouve les Italiens partout dans le monde. A partir des années 90, la chute du mur de Berlin, la nouvelle guerre des Balkans et l'instabilité économique de l'Afrique ont fait converger vers l'Italie, qui est la porte d'entrée à l'Europe, des milliers d'immigrants. Au début, c'était le rejet de cette humanité différente avec ses mœurs et ses langues. Puis, dans une phase de ressaisissement, c'est le désir de comprendre qui a pris le pas sur les préjugés. Donc, les médias et les universités, ont fait ce travail de donner du sens à ce phénomène. Et, modestement, avec mes romans et ma formation d'anthropologue, j'ai apporté ce regard extérieur, qui raconte différemment l'Italie.» Il nous parle ensuite de son nouveau roman qui vient de sortir en Italie : «Oui, l'immigration reste un sujet passionnant pour comprendre comment se dessine le monde de demain. Donc, là, je me suis installé à Turin pour essayer de voir à travers une fiction la manière dont s'est effectuée l'immigration du Sud italien vers le nord industriel. Sans oublier que je m'intéresse, à travers un autre projet, au regard que peut avoir un jeune écrivain sur la Révolution algérienne.» Enfin, Amara Lakhous nous décrit comment s'opère chez lui le processus de la création romanesque en ces termes : «Je suis toujours sur plusieurs projets et j'établis des fiches avec les personnages, l'intrigue et le dénouement. Et puis, vers la fin de ce travail de préparation, je commence à travailler.» Quelques piles de livres plus loin, Yahia Belaskri, avec sa jovialité légendaire et attirante, parle de son dernier roman, Une longue nuit d'absence, paru aux éditions Vents d'ailleurs. Ce roman remet en perspective l'histoire des Républicains espagnols venus à Oran, après 1936, pour fuir le franquisme. Pour lui, ce pan de la mémoire algérienne est complètement occulté, avant d'ajouter : «Malheureusement ce n'est pas le seul pan de l'histoire algérienne qui est occulté. Nombre d'événements ont été oubliés, si ce n'est travestis ou édulcorés. C'est une entreprise idéologique qui a été mise en œuvre dès l'indépendance du pays : la mise en place d'un grand récit historique qui glorifie l'entre-soi et fait table rase de l'autre. Comme si l'Algérie était née en 1962, au mieux en 1830 avec la conquête française. Ainsi près de 2000 ans d'histoire ont été occultés. Au moment de la célébration du cinquantenaire de l'indépendance algérienne, il est temps de retisser les fils qui nous relient aux autres, tous les autres. Parler d'Oran, par exemple, sans citer son hispanité, est un non-sens, tant ce pays, sa culture, son patrimoine sont présents dans la ville et font partie de son histoire.» Au fond de la grande allée jonchée de chapiteaux, le stan d des éditeurs algériens attire de son côté beaucoup de visiteurs. Les livres exposés embrassent toutes les disciplines, mais avec une mention particulière pour les essais et les beaux livres. Là aussi, l'ambiance est bon enfant et les échanges se font dans un bon esprit. L'accueil des exposants est très cordial, favorisant une proximité et une convivialité avec les visiteurs qui repartent tous avec quelques acquisitions intéressantes. Beaucoup d'officiels ont tenu à être présents lors du dernier jour. C'est ainsi que Philippe Saurel, l'adjoint à la culture de la ville de Montpellier, a tenu à exprimer sa pleine satisfaction et le pari gagné en mettant à l'honneur l'Algérie. Du côté algérien, la représentante du ministère de la Culture, Mme Zahia Yahi, directrice de cabinet, a participé pleinement aux rencontres organisées sur le patrimoine immatériel de l'Algérie (par Slimane Hachi, directeur du Cnerpah) et sur l'histoire de la bande dessinée nationale (par Ameziane Ferhani) répondant à diverses questions de l'assistance. Elle a insisté sur les dotations en livres et en BD, de plus en plus nombreuses, dont bénéficient les bibliothèques à travers le territoire national. Les amateurs du neuvième art ont remarqué que le renouvellement de la BD en Algérie passe par la tendance à la féminisation du domaine, bien plus forte qu'en Europe. En effet, beaucoup de bédéistes femmes prennent les devants dans les ateliers de création qui se multiplient en Algérie. Les Mangas algériens, se sont très bien vendus et ont connu une rupture de stock au stand consacré à ce genre. Ainsi, tous les exemplaires de l'album Le vent de la liberté du jeune artiste Sofiane Belaskri se sont écoulés. La responsable du stand des Mangas ne tarissait pas d'éloges à l'égard des artistes algériens présents qui ont subjugué le public par leur talent, leur disponibilité et la relation particulière qu'ils ont tissée avec les visiteurs, notamment lors des ateliers. La pluie battante de la dernière journée annonçait la clôture de l'événement et on sentait comme un regret dans l'air pour tous ces écrivains algériens qui allaient à l'assaut d'autres horizons, avec, dans leur bagages, d'autres histoires à écrire et d'autres publics à enchanter.