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La médina à moitié dégradée
Déclarée secteur sauvegardé il y a huit ans
Publié dans El Watan le 19 - 06 - 2013

Plusieurs spécialistes estiment que malgré la dégradation du tissu urbain de la vieille ville, il demeure toujours possible de sauver une bonne partie de ce patrimoine, si l'Etat s'engage à débloquer les financements nécessaires.
Dans la matinée du 20 février 2005 et sans aucun préavis, une opération de démolition des bâtisses de Souika a été entamée sur décision de l'ex-wali de Constantine, Tahar Sakrane. En une semaine, 49 maisons classées menaçant ruine ont été détruites par les autorités, qui affirmaient qu'elles ont été squattées par d'indus occupants. De leur côté, l'association des propriétaires des maisons, des associations de sauvegarde du patrimoine de Cirta et autres spécialistes de l'urbanisme ne tarderont pas à réagir, n'hésitant à qualifier cet acte d'irréfléchi et de précipité, surtout que les concernés et les connaisseurs de la valeur architecturale et culturelle de la vieille ville n'ont à aucun moment été consultés sur la question.
Suite à une vive polémique qui avait secoué les milieux constantinois, le même ex-wali de Constantine avait déclaré dans un entretien accordé à l'époque à un quotidien arabophone, qu'il avait pris la décision de démolition sur la base de documents prouvant que les maisons ciblées étaient un danger réel pour le voisinage, faisant porter l'entière responsabilité aux propriétaires qui n'ont pas respecté leurs engagements, selon lui. Pour les connaisseurs du patrimoine de la vieille ville, des maisons d'une valeur historique et architecturale ont été ciblées dans les rues Benzegoutta (ex-Morland), des Cousins Kerouaz (Zanqet Lamamra) et Abdallah Bey (Essaïda), alors qu'elles étaient en bon état. Les prétextes avancés par les autorités n'avaient pas convaincu les associations qui œuvraient pour la protection du patrimoine de la vieille ville.
«Les autorités auraient pu murer les accès aux habitations et interdire aux propriétaires de les louer au lieu de recourir à la destruction systématique. Une action qui porte un sérieux préjudice au tissu architectural de la vieille ville», affirmaient certains spécialistes. Saisi en temps opportun, le ministère de la Culture décrétera l'arrêt des démolitions en attendant les résultats de l'enquête menée par une commission ministérielle. Mais c'était trop tard. Les maisons démolies sont perdues à jamais. Il aura fallu attendre la parution, trois mois après ce massacre, du décret exécutif n°05-208 du 4 juin 2005 pour que la vieille médina bénéficie enfin des dispositions de la loi 98-02 relative à la protection du patrimoine, avec lequel elle sera déclarée secteur sauvegardé. Une mesure salutaire longtemps attendue par les associations et les amis de l'antique Cirta. La déclaration de sauvegarde permettra ainsi la conservation et la protection du site, mais aussi une réhabilitation des immeubles inclus dans le secteur sauvegardé.
Un désastre à grande échelle
Le constat établi deux ans après ce désastre par la cellule de réhabilitation de la vieille ville de Constantine est sans appel. Des années de négligence et de laisser-aller, conjuguées à des actes de vandalisme de la part de bon nombre de locataires, et la démission des propriétaires, ont généré une situation préoccupante. Selon une étude réalisée par le bureau d'architecture et d'urbanisme Urbaco en 1984, renforcée par une enquête sur site effectuée par la cellule de réhabilitation de la vieille ville à partir de 2004, le taux de dégradation des bâtisses a atteint un seuil alarmant. Sur un nombre total de 1165 bâtisses recensées dans la vieille ville, 575 sont dans un état de dégradation avancé, soit près de 50 % de tout le tissu urbain. Seulement 10% de ce tissu urbain, soit 122 bâtisses, est jugé en bon état, 12 % des bâtisses (136 maisons) menacent de s'écrouler, alors que 25 % des maisons, estimées à 332, sont en ruine.
Ledit document précise surtout que les premiers effondrements d'îlots entiers ont été enregistrés dans les années 1980, où le taux avait atteint 17 %. «Des maisons portées sur le fichier de l'APC entre 1988 et 2001 comme étant en bon état sont actuellement en ruine ou menacées», est-il précisé dans le même rapport. «Alors que la partie basse de Souika est perdue à jamais, il est urgent d'entamer une réhabilitation des maisons qui peuvent être sauvées dans certains quartiers de la vieille ville», estime Nasredine Touam, responsable de la cellule de réhabilitation de la vieille ville. Ce dernier insiste beaucoup sur cette urgence, car les structures de ces maisons sont devenues très fragiles et ne supportent plus les conditions climatiques, marquées ces dernières années par des périodes de fortes pluies, suivies de journées chaudes.
«Les murs, qui absorbent beaucoup d'humidité, se disloquent rapidement ensuite avec la chaleur, puis finissent par s'effondrer», notera-t-il. Tous ceux qui ont eu à expertiser les bâtisses de la vieille ville citent parmi les facteurs de cette dégradation, le manque d'entretien des maisons, dont bon nombre ont été laissées à l'abandon par leurs propriétaires, la vétusté du réseau d'AEP et d'assainissement où les infiltrations d'eaux souterraines ont causé d'énormes dégâts dans la structure, en plus de la destruction volontaire d'un nombre important de bâtisses par les locataires eux-mêmes dans le but de l'acquisition d'un logement neuf. Mais il n'en demeure pas moins tout de même, selon certains experts, que les démolitions mal exécutées par les autorités ont été mises à l'index, puisque elles ont conduit inévitablement à la déstabilisation des maisons mitoyennes. Interrogé, par ailleurs, sur le cas des maisons effondrées, Nasredine Touam dira : «Il n'est pas impossible de reconstruire un jour ces bâtisses, en se basant sur les structures et les plans d'origine, mais ceci est une autre paire de manches.»
La vie des riverains et celle des passants en danger
L'état des anciennes bâtisses menaçant ruine dans la vieille ville ne cesse de préoccuper leurs habitants. «Après l'effondrement des murs d'une ancienne maison suite aux importantes chutes de pluie enregistrées au mois de mars dernier, on craint sérieusement pour notre vie et celle de nos enfants, qui passent chaque jour à proximité du danger en empruntant le chemin de l'école», dira un habitant de la rue Abdallah Bey, plus connue par Essaïda. Une artère qui connaît un flux continu de passants, sachant qu'elle constitue un passage obligé entre la rue Larbi Ben M'Hidi et la rue Mellah Slimane. Depuis quelques années, les risques des effondrements font partie du quotidien des riverains et des passants à la vieille ville. Rien que pour l'année 2012 et le début de l'année 2013, une dizaine de maisons ont connu des situations critiques. Les fortes chutes de neige du mois de février dernier ne sont pas passées sans faire des dégâts. En quelques jours, plusieurs familles se sont retrouvées sans toit, et ce par un froid glacial, après l'effondrement de maisons dans la rue Mellah Slimane, Essaïda, Bir El Menahel et Sidi Bouannaba. Au mois d'avril dernier, une dame a été blessée suite à la chute du mur d'une maison située juste à l'entrée de la rue commerçante de Mellah Slimane, un endroit connu par la présence d'échoppes de fruits secs et autres étals de vêtements et de chaussures qui attirent une clientèle nombreuse. Des boutiques ouvertes à proximité de maisons en ruine qui attendent vainement d'être réhabilitées.
Une réhabilitation qui traîne le pas
Le lancement au mois d'août 2008 d'une opération pilote de réhabilitation de Souika devait toucher 65 maisons et 104 commerces, répartis sur quatre tronçons. Le projet n'ira pas jusqu'au bout. Sur les 22 maisons entamées dans une première phase, seules quatre seulement seront achevées et habitées. Il s'agit des bâtisses de Bab El Djabia, situées au n°12, 12 bis, 19 et 19 bis de la rue Mellah Slimane. «L'arrêt des travaux dans les autres maisons est dû essentiellement à des lenteurs administratives pour la régularisation de la suite du marché, bien que les études soient déjà faites et certaines maisons d'une grande valeur architecturale en voie d'achèvement, alors que d'autres en phase de finalisation», nous révèle Nasreddine Touam, responsable de la cellule de réhabilitation de la vieille ville. L'expérience des quatre bâtisses de Bab El Djabia demeure quand même édifiante. Les travaux ont révélé un état de dégradation très avancé, chose ayant nécessité l'adoption d'un plan spécial, consistant au démontage et au remontage des maisons pierre par pierre, selon les précisions des spécialistes. «Il s'agit d'un résultat que nous considérons comme positif en dépit de plusieurs critiques émises contre cette opération, mais c'est l'histoire qui jugera à la fin», estime notre interlocuteur. Ce dernier notera que «l'organisation de la manifestation Constantine, capitale de la culture arabe 2015, est une opportunité pour la ville afin qu'elle puisse bénéficier d'un dispositif réglementaire qui fixe les orientations et les opérations nécessaires pour protéger la vieille ville, mais le temps est très court, et il faut agir en urgence».
10 milliards de dinars pour sauver 50% de la médina
Il a fallu sept ans pour finaliser et faire approuver par l'APW de Constantine le plan de sauvegarde de la vieille ville, dont l'étude avait été lancée en 2005. «C'est un véritable plan de référence qui englobe la genèse historique de la vieille ville, le diagnostic des lieux ainsi que le règlement et les orientations pour toute intervention dans le secteur sauvegardé de la ville et qui n'attend que d'être signé et approuvé par le ministère de tutelle», nous révèle Nasredine Touam. Un document qui devra servir de base de départ pour les éventuels travaux de réhabilitation afin de sauver les maisons qui restent. C'est une opération qui demande aussi un engagement franc de la part de l'Etat pour le déblocage des financements. Certains experts estiment, sur la base des diverses expériences, qu'il faudrait mobiliser au moins 10 milliards de dinars, de frais des études et de la réalisation, pour sauver au moins 50 % du tissu de la vieille médina qui risque, un jour, de disparaître. «C'est une mission très délicate, car il faut aussi convaincre les familles qui y habitent et les commerçants de la nécessité d'accepter la délocalisation et offrir à ces derniers des possibilités de poursuivre leurs activités», insiste le responsable de la cellule de réhabilitation de la vieille ville. «Mais pour mener aussi à bien cette opération, il nous faut surtout des entreprises crédibles et sérieuses, ayant les moyens financiers nécessaires, qui seront capables de s'engager dans un travail long et précis, et rémunérable à long terme», conclut-il.


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