Près de deux mois maintenant que le palais d'El Mouradia est vacant. Son locataire, Abdelaziz Bouteflika, est forcé au strict repos à Paris depuis le 27 avril passé. Sa longue absence, qui risque de se prolonger encore, n'est pas sans conséquence sur le fonctionnement des institutions de l'Etat. L'impact commence à se faire ressentir dans bien des secteurs de la vie nationale. La difficulté du Président à gérer les affaires politiques du pays en raison de sa maladie risque de paralyser un Etat déjà ligoté par une bureaucratie asphyxiante. Le mouvement des magistrats qui devait intervenir au courant de cette semaine est déjà ajourné. L'article 87 de la Constitution stipule que le président de la République nomme les magistrats. Mais le Président est absent. Dans d'autres secteurs, de nombreuses nominations qui relèvent des pouvoirs du Président sont également reportées sine die. Le blocage se manifeste non seulement dans la sphère administrative, mais également dans le domaine économique. La nouvelle politique industrielle, pilotée par le département de Cherif Rahmani, est fin prête depuis des semaines, mais sa mise en application est retardée. Elle est tributaire de la tenue du Conseil des ministres qui tarde à se tenir. Pareil pour la nouvelle loi sur l'audiovisuel finalisée depuis des semaines qui dort dans les armoires du gouvernement. Sur un autre plan tout aussi important que celui des relations internationales, l'absence du chef de l'Etat pèse lourdement d'autant que l'environnement régional est en pleine convulsion. «L'appareil diplomatique était déjà paralysé depuis que Bouteflika est revenu au pouvoir. Aucune initiative diplomatique ne peut être entreprise sans son aval. Notre diplomatie est mise en veilleuse depuis longtemps, mais l'absence du Président aggrave davantage la situation, alors que l'environnement immédiat du pays est instable et hostile. La voix de l'Algérie sur la scène internationale se fait de plus en plus inaudible. L'Etat qui est souvent représenté aux sommets internationaux des chefs d'Etat par des responsables de rang intermédiaire n'est pas non plus sans impact», assure un diplomate en fonction. Des visites des chefs d'Etat étrangers qui devraient se rendre en Algérie sont ajournées. Ainsi, l'agenda diplomatique est chamboulé et les affaires de l'Etat tournent au ralenti. Au plan interne, l'activisme du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui depuis sa prise de fonction sillonne le pays d'est en ouest, semble destiné à occuper le terrain politique et donner l'impression d'un Etat qui fonctionne «normalement». La démarche, assez inédite, peine néanmoins à dissimuler le blocage multiforme dans lequel est plongé le pays. Le président de la République concentre, au vu de la Constitution, de larges pouvoirs. Dans un pays où le chef de l'Etat est au cœur du dispositif institutionnel, sa présence est indispensable à la gestion quotidienne des affaires. Même si certains observateurs politiques estiment que «la présence ou l'absence du chef de l'Etat n'a pas d'incidence sur la routine bureaucratique du pays et qu'elle ne crée pas de vide dès lors qu'en réalité, il existe un pouvoir occulte qui exerce le pouvoir réel». Mais dans un système hyper-présidentiel, le pays pourra-t-il supporter encore longtemps l'absence du Président sans s'obliger à des entorses à la Constitution ? La question se pose au demeurant si ce n'était pas déjà le cas. En plus de l'incertitude politique qu'elle fait planer sur le pays, cette convalescence qui s'éternise pourrait s'avérer coûteuse pour le fonctionnement de l'Etat. La maladie de Bouteflika ne prend-elle pas finalement en otage le pays ?