Les derniers rapports classent le sud de la Libye comme le plus grand marché d'armes à ciel ouvert et s'alarment contre la réorganisation d'AQMI et d'autres groupes terroristes qui se sont repliés du Mali. Reportage à la frontière algéro-libyenne, zone sous haute tension. Illizi, Debdeb, El Oued. De notre envoyé spécial
«Comment peut-on contrôler la contrebande à la frontière ? Elle fait plus de 1000 km ! Même les Etats-Unis, avec toute la technologie dont ils disposent, ne peuvent surveiller une aussi grande distance !» A Illizi, à une centaine de kilomètres de la frontière avec la Libye. Le Ramadhan et la canicule qui s'annoncent ont de quoi décourager les quelque 40 000 hommes déployés aux frontières, comme cet officier que nous avons rencontré à Illizi. Pourtant, d'après plusieurs sources sécuritaires, le dispositif de surveillance donnerait de bons résultats : depuis 2012, les activités se sont même arrêtées la journée, même si encore 10 à 20% d'armes parviennent encore à passer. «Et nous restons mobilisés, promet le militaire. Nos éléments ont préféré ne pas prendre leur congé pendant le mois de carême pour rester avec nous afin de protéger les frontières.» De l'arsenal d'El Gueddafi que les forces de sécurité ont pu récupérer, encore 40% alimenteraient le plus grand marché de l'armement (rapport des Nations unies) qui alimenteraient même le Hamas et les groupes salafistes en Syrie. Selon une source sécuritaire, près de 4 milliards de dollars d'armement se trouveraient actuellement dans la nature. Frappes Côté algérien, en plus des gardes-frontières, des militaires et des douaniers, des méharistes ont été recrutés. «Ce sont des jeunes de la région, souvent au chômage, qu'on a responsabilisés pour leur éviter de passer du côté des trafiquants et des terroristes, explique une source sécuritaire. Ils se déplacent à dos de chameau et renseignent les forces de sécurité sur tout mouvement suspect.» Une surveillance américaine, par avion, s'effectue du côté libyen, au sud, à l'ouest et à l'est près des frontières égyptiennes, tunisiennes et algériennes depuis 2011. Les avions, sans pilote, décolleraient de bases italiennes. Les forces américaines seraient appuyées par des équipes françaises. Trois axes attirent l'attention de l'OTAN : celui reliant Djadoune (nord du Niger) à la ville de Sebha (le passage le plus important pour les migrations clandestines), celui de l'erg Murzuq et différents passages stratégiques traversant la région Tajiri vers la Tunisie et vers Awbari (sud-ouest de la Libye). D'après un rapport sur un site libyen proche des Toubou (ethnie présente au Tchad, au sud de la Libye et au nord-est du Niger, plutôt partisane d'El Gueddafi au début de la guerre, elle s'est ensuite rapprochée des rebelles, ndlr), il y aurait eu depuis plusieurs mois des frappes aériennes. Et selon les services de sécurité algériens, il pourrait s'agir d'avions français et/ou américains qui visaient des passages/couloirs secrets au sud de la frontière libyenne. Un témoin revenu de Arlit (Nord-Niger) évoque une frappe lors d'une tentative de passage de contrebandiers, dans la région Tajiri, dans le sud de la Libye. Les services algériens ont rapporté qu'un Libyen venu se soigner à l'hôpital de Djanet avait été touché par une roquette lancée par un avion non identifié en décembre 2012. Passages secrets Malgré toutes les opérations et les astuces de l'armée et des gardes-frontières, les contrebandiers trouvent toujours de nouveaux moyens pour passer les frontières. «Les contrebandiers jouent avec nous au chat et à la souris», assure un garde-frontière. Selon les rapports de sécurité, les groupes salafistes libyens cacheraient dans le grand Sud des camions d'armes en attendant d'être vendus. Le trafic d'armes s'organise autour de deux zones. Dans la première – de Sinaouane (est lybien), vers le sud tunisien, puis la région de Guemmar (El Oued) – circulent essentiellement les hommes d'AQMI. La région de Hamada Tinaret, à l'ouest de la Libye, abrite la majorité des passages secrets. Mais d'autres passages ont aussi été recensés à Hamada El Amra, près de Aïn El Zine. Le Mouvement des fils du Sahara pour la justice islamique et Mokhtar Belmokhtar se partagent la deuxième zone : du plateau de Djadoune (nord-est du Niger) vers la frontière lybienne, algérienne, puis Oued Tafest (rivière asséchée qui traverse le sud-ouest de la Libye vers le sud de la wilaya d'Illizi jusqu'à l'ouest de Djanet jusqu'à la frontière tunisienne). Katioucha Ce qui inquiète le plus les autorités : les armes lourdes qui circulent surtout dans un triangle entre la Libye, le Niger et l'Algérie. Car aujourd'hui, les kalashnikovs n'intéressent plus les terroristes. Selon des rapports de sécurité, 90% de la contrebande de kalashnikovs et de grenades se font au profit de groupes criminels, non terroristes. «Les forces américaines et françaises sont de plus en plus sophistiquées, explique une source sécuritaire. Pour équilibrer les forces, les terroristes sont obligés chercher des armes plus performantes.» Parmi elles : des roquettes katioucha que les djihadistes montent sur des lance-roquettes traditionnels, des missiles Grad ou encore des missiles Kornet (contre les blindés). Plus curieux, des missiles anti-navire. «Des armes très dangereuses, qui pourraient paralyser la navigation en Méditerranée», assure notre source avant d'ajouter : «Ils cherchent aussi des fusils de précision, des mortiers, des canons, des missiles, des mines antichar et anti-engins blindés et des explosifs que l'armée détient en grand nombre». Cette situation suscite beaucoup d'inquiétude au ministère de la Défense américain qui aurait mis en place une cellule de crise et recruté une entreprise de renseignement spécialisée dans le commerce clandestin des armes. Les services de sécurité algériens gardent des modèles de ces armes récupérées aux frontières est et sud. Selon un spécialiste de la lutte antiterroriste au Sahel rencontré près de la frontière, «les armes saisies lors des dizaines d'opérations effectuées dans le cadre de la lutte contre la contrebande ces deux dernières années étaient destinées à AQMI. Après expertise dans des laboratoires de l'armée algérienne, on sait aujourd'hui qu'elles ne proviennent pas uniquement de la Libye mais de pays du Golfe et de pays occidentaux et qu'elles ont été remises aux rebelles libyens pendant la révolution.»