Les pratiques managériales ont permis aux analystes d'accumuler de précieux savoir-faire sur les meilleures manières de booster les performances des entreprises déstructurées. Certes, chaque cas est unique. Un diagnostic exhaustif permettrait de repérer dans les détails les symptômes, les causes et les types de thérapies à entreprendre. Mais dans l'ensemble, des caractéristiques communes se dégagent. Par exemple, les problèmes cruciaux des entreprises dont les indicateurs se détériorent proviennent souvent d'une mauvaise gouvernance en très haut lieu, souvent émanant du premier responsable. En supposant que le numéro un de l'entreprise a une réelle autonomie et les injonctions politiques subies ne sont pas préoccupantes, les entreprises sont souvent victimes d'une culture interne qui s'étiole. Fréquemment, des succès aussi bien impressionnants qu'inattendus et reposant sur des facteurs fragiles et forcément copiables projettent l'entreprise dans une bulle et elle n'y descend que brutalement. Une entreprise de construction de logements ayant obtenu trop de marchés à la faveur d'un plan de relance généreux devient arrogante. IBM au début des années quatre-vingt dominait tellement ses marchés qu'elle ne put envisager comment des petits concurrents sur des petites niches pouvaient la battre. Ce que révèlent souvent les diagnostics Les causes et les mécanismes de déstructuration des entreprises sont complexes et multiples. Les nomenclatures des différents classements varient en fonction des méthodologies adoptées et des angles d'approche. Nous citerons les cas les plus communs dans les pays développés ou émergents, pour en tirer quelques leçons pour nos entreprises. Ce sont généralement les processus de gouvernance à un très haut niveau qui expliquent les déliquescences des entreprises. Dans les PVD, ce sont les injonctions administratives et politiques. Nos amis japonais ont un adage pour cela. Ils disent que «Le poisson pourrit par la tête». C'est généralement l'équipage managérial qui prend des décisions stratégiques et opérationnelles malencontreuses, qui néglige les modes et les codes de pensée et de comportement des membres de l'entreprise à tous les niveaux. On néglige de chouchouter les clients, d'innover, d'écouter et on laisse les différentes entités de l'entreprise dériver chacune avec ses propres priorités, sa politique et ses pratiques différentes des autres : l'effet brownien s'installe. L'entreprise est tiraillée de toutes parts, elle stagne, malmenée dans différentes directions. Chrysler a failli péricliter à cause de ce phénomène. Ses divisions devenaient des entités autonomes avec des priorités et des pratiques si différentes qu'il était difficile de leur appliquer des règles communes de bon sens. Souvent, des succès faciles conduisent l'entreprise à sous-estimer ses concurrents. Ces derniers se sachant distancés mobilisent toutes leurs énergies et leur savoir-faire pour opérer des rattrapages. L'entreprise se complait dans une auto-satisfaction destructrice. Sa culture se rapproche de l'arrogance et celle des concurrents vers une remise en cause et une mobilisation des énergies de tous. Elle finit par construire une culture interne de défi, d'amélioration continue, de Benchmarking qui finiront par mettre à genoux l'entreprise arrogante. Les entreprises déstructurées ont souvent négligé les facteurs clés de succès de leur secteur d'activité. L'exemple d'une entreprise d'agro-alimentaire qui se polarise sur la réduction des coûts, alors que les facteurs clés de succès de son activité sont surtout la qualité et le marketing. Les coûts devaient surtout fluctuer à l'intérieur d'une marge assez flexible. Mais les managers qui leur accordent une pondération excessive au détriment de la qualité payeront un lourd tribu. Ce qu'il faut traiter en priorité Une entreprise déstructurée est généralement dépourvue de systèmes d'alerte efficaces et d'un système managérial proactif. Les conseils de surveillance n'existent pas ou ne jouent pas leur rôle. Le conseil d'administration serait trop complaisant avec la haute direction. Les tableaux de bord ne fournissent pas des éléments d'alerte précoces. Ainsi, lorsqu'on commence le processus de redressement, ce sont surtout ces éléments de gouvernance primaire qu'il convient de révolutionner. Les Downsizing (réduction d'effectifs et d'actifs) sont faciles à exécuter. Mais si on ne les fait pas correctement, le résultat serait de «démoraliser les troupes qui restent». Les entreprises modernes ont intérêt à acquérir un savoir-faire en matière de traitement des sureffectifs. Le plan de redressement de Renault en 1986 fut un total succès, car trois ans après, toutes les ressources humaines licenciées avaient trouvé un emploi grâce aux efforts et à l'expertise déployés : formation, reconversion, essaimage, création de nouvelles activités, etc. Ainsi, le personnel gardé a réfléchi ainsi : «L'entreprise n'a pas traité ses agents comme des produits jetables. Nous sommes confiants que si demain elle aura d'autres difficultés elle fera tout pour nous venir en aide.» Les mesures d'accompagnement techniques sont connues des professionnels du management : rééchelonnement des dettes, lease back, cession d'actifs, etc. Mais c'est le traitement des ressources humaines qui est déterminant. Il s'agit ni plus ni moins que d'opérer une mutation de la culture qui prévalait. Cette phase est considérée comme la plus déterminante dans le processus de restructuration. On ne peut devenir une entreprise apprenante et gagnante avec une culture responsable du déclin. Pour booster le moral, créer de nouvelles manières d'agir et de pensée, les spécialistes agissent sur un certain nombre de paramètres : casser les anciens groupes, les méthodes passées, former, sensibiliser et travailler différemment avec de nouveaux chefs. Certains bureaux d'études vont jusqu'à changer les décors, les couleurs pour que les membres de l'entreprise se disent «l'ancienne entreprise a disparu nous travaillons dans une toute autre nouvelle firme». C'est pour cette raison qu'on procède généralement à un changement radical au niveau de la haute direction pour réussir le processus. Il consiste à mobiliser l'intelligence de tous. Carlos Ghosn a redressé Nissan en instaurant une dizaine de commissions transversales (qualité, communication, réduction de coûts) qui communiquent avec le reste des membres pour produire des solutions. Plus de 90% des décisions provenaient de ces commissions internes. Il y a des éléments pertinents pour notre pays. Il ne faut jamais relancer les activités d'une entreprise déstructurée sans s'attaquer en priorité à son management. Sa culture doit d'abord être révolutionnée. Ce n'est que par la suite qu'on lui donne des ressources pour développer des partenariats et assurer son expansion. Les assainissements financiers et la relance d'entreprises déstructurées aboutira toujours à des dérives de plus en plus graves et à des échecs certains.