Trêve de fin de semaine sous un ciel coléreux ? A la pause-déjeuner entre deux séances de la rencontre « Presse-justice : dialogue ou confrontation », organisée par le comité des éditeurs de presse (Le Soir d'Algérie, El Fedjr, Liberté, El Khabar, l'Epoque, El Watan) jeudi à l'hôtel El Marsa de Sidi Fredj, à l'ouest d'Alger, éditeurs, avocats et magistrats convenaient de la nécessité du dialogue et de l'ouverture de l'institution judiciaire. A l'abri de la pluie battante, Ali Ouafek de Liberté, Omar Belhouchet d'El Watan, Ali Djerri d'El Khabar, l'avocat Khaled Bourayou, la magistrate Benyoucef et le président du syndicat des magistrats Djamel Aïdouni discutent des possibilités d'aller vers de nouvelles formes de relation presse-justice. Les magistrats promettent plus d'ouverture et de dialogue. Djamel Aïdouni, qui préside le Syndicat national des magistrats (SNM) depuis la révocation de Ras El Aïn en février 2004 pour avoir dénoncé le coup de force judiciaire contre le FLN de Ali Benflis, annonce également une spécialisation des juges. M. Bourayou expose les conditions déplorables des convocations répétitives de journalistes. Les lents délais à attendre au tribunal. Une juge qui somme autoritairement notre collègue Salima Tlemçani de se taire. Les magistrats enregistrent. « C'est déjà un pas positif : que Aïdouni réponde à notre invitation. Alors que les relations entre les journalistes et la justice sont si tendues », confie M. Belhouchet qui n'arrive même plus à se souvenir du nombre d'affaires en justice passées et avenir qu'il a. Lors des travaux de la rencontres, le directeur d'El Watan a proposé aux magistrats la création d'un groupe de travail SNM-journalistes. M. Aïdouni ne dit pas non. Et ne dit pas oui. Mais l'idée semble faire son bonhomme de chemin. Le représentant des magistrats, fidèle à l'option prétorienne du « le juge bras armé de l'Etat », défend le travail des juges, et assure que « les juges ne peuvent qu'appliquer les lois votées par l'APN ». Inutile donc de polémiquer alors sur le caractère autoritaire des amendements du code pénal en 2001 qui place « le président de la République, dans les affaires d'outrage, au-dessus du Prophète Mohamed », ironise Ali Djerri, directeur de publication d'El Khabar. M. Aïdouni annonce même que la cour d'Alger est en pleine délibération autour d'une affaire de presse où un journaliste risque une condamnation à la prison ferme. Verdict cette semaine. Les relations entre la plume et la balance condamnée à la confrontation ? Une des pistes proposées par Djamel Aïdouni : « La formation judiciaire des journalistes avec l'apport du syndicat des magistrats ». « Un comble », murmure un journaliste présent dans la salle qui pose plutôt la question autour de la compétence des juges. M. Aïdouni confirme également le chiffre de 200 journalistes touchés par la dernière grâce présidentielle et a promis de communiquer à la presse les statistiques concernant les affaires de presse. « Le juge doit être l'ami des journalistes, un ami vigilant et exigeant », recadre Jean-Yves Monfort, président du tribunal de Versaillles (France) et qui a été à la tête de la 17e chambre du tribunal de Paris, la « chambre presse ». Absence de standars A ses yeux, « le juge n'est pas le représentant du gouvernement et ne se substitue pas au procureur, il applique la loi dans sa lettre, mais surtout, aussi, dans son esprit (...) Il n'est pas non plus l'arbitre du mauvais goût concernant par exemple les caricatures ». Il précise que le cas français n'est pas un modèle, mais il est utile de l'écouter exposer l'évolution de la loi française sur l'information datant de 1881. Depuis plus de trente ans, le délit d'offense envers le président de la République est tombé en désuétude et la loi du 15 juin 2000 a supprimé l'emprisonnement des journalistes. « Le montant des amendes et celui des dommages-intérêts accordés à la victime sont en général fixés par les juges à des taux modérés, de manière à ne pas faire succomber sous le poids des sanctions financières celui qui use - même de manière abusive - de sa liberté d'expression », a encore illustré le président Monfort. Ces évolutions, notamment, sont possibles grâce à l'obligation de conformité avec les standards de la Cour européenne des droits de l'homme, dont maître Yves Dupeux, avocat à Paris, a exposé certains cas de jurisprudences adoptés depuis comme règles. Le manque de standards juridiques transfrontaliers dans le monde arabe, levier pertinent pour l'évolution des lois internes, a été soulevé par le journaliste jordanien Chakir Yahia. La convention arabe des droits de l'homme, qui a vu le jour à Tunis en 2004, ne stipule pas la création d'une cour arabe des droits de l'homme, observe-t-il. Khaled Bourayou, avocat qui se spécialise notamment dans les affaires de presse, indique que les journalistes n'ont gagné aucune affaire d'outrage. « Et dans les autres affaires, nous n'avons jamais pu aller au fond des choses au tribunal », poursuit-il. M. Bourayou dénonce l'article 46 de l'ordonnance présidentielle portant application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, pénalisant et interdisant d'émettre une opinion sur la violence terroriste et la contre-violence. « C'est une grave atteinte à la liberté d'expression, je pense que le journaliste doit parler des faits même s'il s'agit de faits amnistiés. Il faut développer la mémoire collective contre l'intégrisme », dit-il. A noter la présence de Abdelmadjid Sidi Saïd, patron de l'UGTA, Saïd Sadi du RCD, trois anciens chefs de gouvernement, Mouloud Hamrouche, Sid Ahmed Ghozali et Mokdad Sifi, ainsi que des patrons de presse. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) n'a pu recevoir l'invitation pour cause de dysfonctionnement postal, selon les organisateurs.