La formule est réellement ambiguë, mais l'ambition, quant à elle, est clairement avouée. Malgré le consensus africain sur lequel a débouché le sommet africain de Harare en 1996, l'Egypte, l'Afrique du Sud et le Nigeria ont posé, vendredi pour les deux premiers et dès jeudi pour le troisième, leur candidature à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies si l'Afrique en obtient un. Dans son document de travail, l'OUA avait demandé expressément deux à titre permanent et trois non permanents. Autant dire que ce qui est plus un coup de force qu'une opération de séduction tentée mercredi par le Brésil, l'Allemagne, le Japon et l'Inde, est loin d'être un cas isolé. En effet, l'Egypte, l'Afrique du Sud et le Nigeria, pourtant liés par les résolutions dusommet de Harare, ont décidé de faire acte de candidature.« L'Egypte est éminemment qualifiée pour assumer des responsabilités permanentes dans le cadre d'une éventuelle expansion du Conseil de sécurité des Nations unies », a ainsi déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheït, à la tribune de l'Assemblée générale de l'Onu. Mais M. Aboul Gheït a également indiqué que son pays serait aussi candidat si un ou plusieurs sièges étaient attribués au continent africain sur la base d'une rotation entre certains pays sélectionnés. L'Egypte est ainsi le troisième pays africain, mais le premier pays arabe à se porter candidat à un siège au Conseil, dont l'élargissement éventuel est l'un des grands sujets du moment à l'Onu. Le Nigeria et l'Afrique du Sud ont déjà posé leur candidature à un tel siège, ignorant eux aussi le consensus en question. En effet, l'Afrique du Sud s'est déclarée « prête à assumer » la responsabilité de membre permanent, a indiqué la ministre des Affaires étrangères, Nkosazana Dlamini-Zuma. « De nombreux pays africains, et d'autres en dehors de notre continent se sont interrogés sur la volonté de l'Afrique du Sud d'être membre permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies », a souligné la ministre. Quant au président du Nigeria, il « pense très fort, (que son pays) est un candidat très qualifié ». Mardi dernier, quatre grands candidats déclarés, l'Allemagne, le Brésil, l'Inde et le Japon, ont annoncé qu'ils allaient soutenir mutuellement leurs candidatures à un siège permanent. Ils se sont prononcés aussi pour l'octroi d'un siège permanent au continent africain. Mais très vraisemblablement, ces pays ont décidé de mettre la charrue avant les bœufs, selon la formule consacrée, pour n'avoir pas attendu les conclusions du groupe d'experts qui n'interviendront pas avant la fin de cette année. Certains ont obtenu un soutien qu'il serait difficile de qualifier d'inconditionnel et de durable, au regard de l'ampleur des enjeux qui tiennent d'abord au prestige que confère le statut de membre permanent jouissant d'un droit de veto. Qui acceptera de le partager ? La réponse serait affirmative si ce droit n'incluait pas aussi, et là est le fondement de la revendication, le droit de décider de la guerre ou de la paix, comme cela a été constaté ces dernières années. A l'inverse, des objections sont apparues. En Amérique latine notamment, la candidature du Brésil fait grincer quelques dents. Au Mexique en particulier où l'on juge « très prétentieux » pour Brasilia « de s'octroyer la représentation de toute l'Amérique latine ». L'ambassadeur argentin à l'Onu, César Mayoral, a expliqué que son pays était « opposé aux privilèges des membres permanents et a fortiori à augmenter le nombre des privilégiés ». Mais il a souligné également que « les relations avec le Brésil, allié stratégique de l'Argentine, seraient tout aussi déterminantes » le jour où il faudra se prononcer. En Europe, la candidature de l'Allemagne lui a valu le sarcasme de l'Italie. « Certains pays membres ont plaidé pour l'addition de sièges permanents supplémentaires... pour eux-mêmes », a ironisé devant l'Assemblée générale le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini. Autant dire que rien n'est acquis et que le débat actuel n'en est pas un et surtout qu'il n'autorise pas le moindre coup de force. L'ONU est l'émanation de ses membres, en particulier ceux qui siègent en permanence au sein du Conseil de sécurité. Et bien souvent, des erreurs ont été commises en son nom, au nom justement de ce rapport de forces qui caractérise le fonctionnement des Nations unies.