Le guide libyen a encore trouvé le moyen de se mettre en évidence sans tenir compte des dégâts que son idée d'Etats-Unis d'Afrique peut occasionner. La neuvième session ordinaire de l'Union africaine qui s'est ouverte, hier, en présence d'un grand nombre de chefs d'Etat et de gouvernement, aura à examiner plusieurs dossiers dont ceux récurrents des conflits au Darfour et en Somalie, mais aussi, sans doute surtout -car ce dernier a tendance à éclipser les autres points de l'ordre du jour- le «grand débat» sur la transformation de l'Union africaine en «Etats-Unis» d'Afrique E-U A. En fait, c'est le grand saut dans l'inconnu que propose à l'Afrique le guide libyen, Mouamar El Gueddafi, coutumier de ces sautes d'humeur qui ne sont pas toujours de bon aloi. Analystes comme observateurs sont unanimes à dire que le continent africain n'est pas prêt à un tel bond qualitatif non seulement du fait que cela nécessitera des moyens (notamment financiers et logistiques) dont l'Afrique n'a pas la disposition, mais aussi et surtout du fait que peu d'Etats africains sont actuellement prêts à céder ne serait-ce qu'une parcelle de leur souveraineté. Dès lors, la question ne se pose pas uniquement au niveau de la faisabilité d'un tel projet - encore qu'il n'est pas évident de trouver un consensus entre des systèmes de gouvernement aussi disparates que ceux s'inspirant des anciens régimes coloniaux français, anglais, portugais, espagnols ou d'orientations économiques aussi diverses que l'économie assistée, le bazar ou le libre marché - mais également de la manière avec laquelle la société peut appréhender un tel changement. Le guide libyen qui a été derrière la transformation de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) en Union africaine (UA), semble vouloir brûler les étapes en mettant sur le tapis l'érection des Etats-Unis d'Afrique, sans prendre garde aux dégâts qui peuvent en résulter, quand rien ne milite pour un tel objectif. Au contraire, ce coup de poker que tente ainsi Mouamar El Gueddafi, risque surtout de brouiller les cartes africaines et ouvrir les portes à la zizanie entre Africains tant le consensus est loin de prévaloir sur une idée, séduisante certes, mais par trop prématurée pour un continent qui, à l'évidence, a d'autres préoccupations et «chats» à fouetter. Or, édifier les Etats-Unis d'Afrique cela suppose qu'un grand nombre des obstacles qui obèrent le développement du continent ont été surmontés, tels les problèmes des frontières -toujours pendants entre certains Etats- que les conflits fratricides qui endeuillent nombre de pays africains aient été résolus, que l'Afrique maîtrise mieux ses données objectives (politique, économique, sociales et identitaires, financières et industrielles, agricoles et de préservation de l'environnement et de la nature) que ce qui unit les Africains est devenu plus important que ce qui les divise ou peut les diviser. L'Afrique en est-elle là? Bien sûr, la réponse ne peut être que négative. Hélas! D'ailleurs prudente, l'UA, à la veille de l'ouverture des travaux du Sommet d'Accra, a rendu public un communiqué dans lequel il est dit que (ce sommet) permettra «un échange de vues approfondi sur l'opportunité ainsi que les voies et moyens de doter l'UA d'un Exécutif pouvant conduire, avec toute l'efficacité requise, à l'intégration politique et économique du continent en vue de l'ultime objectif qui est la création des Etats-Unis d'Afrique». Certes, favorable à l'idée d'instituer les Etats-Unis d'Afrique, le président sortant de la Commission de l'UA, Alpha Oumar Konaré, a affirmé, jeudi, que «la bataille pour les Etats-Unis d'Afrique est la seule qui vaille pour notre génération, la seule capable d'apporter des réponses aux mille problèmes des populations africaines». Cela part de bons sentiments, mais ce n'est là qu'une position parmi d'autres qui seront débattues lors du Sommet africain. On ne peut construire une fédération de 53 Etats lorsque chacun d'eux est confronté à des problèmes généraux et particuliers qui ne leur ont pas permis le décollement économique et le développement tant espérés. Or, cet impromptu, Etats-Unis d'Afrique, fait de l'ombre aux problèmes réels de l'Afrique que restent les conflits du Darfour, de Somalie, de Côte d'Ivoire dont la crise a rebondi, vendredi, de manière inattendue par la tentative d'assassinat du Premier ministre ivoirien, Guillaume Soro, ex-chef de la rébellion. Malgré les contentieux en cours, le Sommet d'Accra essaiera, néanmoins, de trouver les moyens de renforcer l'organisation panafricaine par l'affirmation de son rôle dans la résolution de ces conflits comme l'Union africaine s'y attache, notamment au Darfour et en Somalie par la présence de contingents africains de maintien de la paix. Mais tout cela demande des moyens, beaucoup de moyens, et c'est là que se trouve le défaut de la cuirasse de l'UA en butte à des difficultés financières qu'elle arrive péniblement à surmonter. Si l'Union africaine fait face à des difficultés de trésorerie cela est dû, essentiellement, au fait que nombreux sont les Etats africains (confrontés aux mêmes embarras) qui manquent à leurs obligations (financières) envers l'Union. Aussi, les Etats-Unis d'Afrique ne peuvent se construire sur des oukases quand les conditions, en amont et en aval, pour ce faire sont loin d'être réunies.