D'autres conflits éclateront inévitablement entre les Frères au pouvoir et les forces de la révolution, si Morsi s'amusait à ne pas respecter les engagements qu'il a pris. Pour nous, l'essentiel était d'empêcher le retour au pouvoir de Moubarak en éliminant Ahmed Chafik. Morsi doit savoir que nous serons à l'affût ; le cœur de la révolution reste palpitant. La place Tahrir n'est jamais loin», avait mis en garde le Mouvement du 6 avril, fer de lance de la révolution égyptienne, le jour de l'annonce de la victoire du candidat des Frère musulmans, le 24 juin 2012. Au second tour de l'élection présidentielle de l'an dernier, une large coalition politique – composée des partis libéraux, de gauche et des mouvements révolutionnaires – avait choisi de soutenir le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, à la faveur d'un accord politique. Pour faire barrage au candidat de l'ancien régime, le général Ahmed Chafik, Mohamed Morsi avait besoin du soutien des autres forces politiques. Pour rassurer ses alliés de «circonstance», Mohamed Morsi s'était engagé à ne pas gouverner seul, mais à partager le pouvoir avec l'ensemble des acteurs politiques qui ont concouru à sa victoire : un gouvernement de coalition nationale, confier le poste de Premier ministre à une personnalité du courant libéral, que la représentation de son parti au gouvernement soit de 20%, nommer un vice-président chrétien et une vice-présidente femme. Il avait promis également de respecter l'indépendance de la justice et la liberté de la presse. Il s'était engagé surtout à consulter le peuple sur les questions stratégiques. Mais une fois installé au palais d'El Itihadiya (siège de la présidence), Mohamed Morsi, pris du vertige du pouvoir et surtout rattrapé par la réalité de la confrérie dont il est issu, se fourvoie. Les jours passent et les engagements se perdent dans les méandres du pouvoir, alors que les forces révolutionnaires continuent à le soutenir pour écarter le tout-puissant Conseil suprême des forces armées du général Hussein Tantaoui. Une autre victoire remportée par Morsi grâce aux forces révolutionnaires, mais cela ne l'a pas ramené à «la raison». Bien au contraire, il s'obstine à gouverner seul avec la confrérie. Non seulement il n'a tenu aucun de ses engagements, mais a commencé à prendre ses distances de ses «alliés» en entamant une «frérisation» de l'Etat. Ainsi, «l'ange Morsi» se transforme en «démon», président d'un clan. La rupture s'exprime de manière violente entre le Président et les forces libérales et révolutionnaires lors des événements meurtriers de décembre 2012, lorsque Mohamed Morsi a imposé une déclaration constitutionnelle suivie d'un référendum contre la volonté populaire. Un premier passage en force qui rappelle les pratiques de l'ancien régime. La confrérie a lâché ses «baltaguia» contre des manifestants pacifiques. Des événements qui scellent la cassure. Les Egyptiens qui ont renversé Moubarak restent tout de même vigilants et refusent qu'on leur confisque la révolution. Nombre d'entre eux estiment que Morsi n'est, au final, que le représentant de la confrérie dans l'institution présidentielle et que le chef réel de l'Etat est le guide de la confrérie. Ils reprennent la lutte en réorganisant leurs rangs avec des méthodes et des tactiques nouvelles. Le but : renverser le Président et remettre la révolution sur les rails. En mars dernier, le mouvement Tamarod (rébellion) naît. Porté par une jeunesse fortement expérimentée de la révolution du 25 janvier, ce mouvement, qui avance une série de revendications claires pour une transition démocratique, réussit à fédérer des millions d'Egyptiens des villes et des campagnes dans le but de refaire la révolution, ou plutôt de terminer la révolution qui a commencé avec la chute de Moubarak. La journée d'hier est le point de départ de l'acte II du processus révolutionnaire.