Yves Rocher, Mango, Jacques Dessange, Franck Provost, Relais de Paris, Guy Degenne, les marques étrangères sont nombreuses en Algérie sous le concept de la franchise. Faute de statistiques exhaustives, le nombre de ces franchises reste difficile à cerner, même si l'Association algérienne de la franchise, dénombre «une soixantaine de franchises de moyen et bas de gamme». Le Maroc, pour ne citer que ce pays, compte plus de 400 enseignes étrangères pour un réseau de plus de 3200 points de vente. La franchise constitue pourtant un «moyen de développement pour les start- up, de transférer le capital expérience, le savoir et le savoir-faire étrangers aux entrepreneurs algériens et d'apprendre à ces derniers de travailler selon des standards qui vont servir au mieux la clientèle», explique Samy Boukaila, PDG de BKL Industries. Si la Tunisie a, depuis 2009, une loi spécifique à la franchise, l'Algérie attend toujours la sienne, «en gestation» au ministère du Commerce. En attendant ce texte, la franchise se développe d'une manière «anarchique», selon M. Boukaila. Tant et si bien que les entrepreneurs algériens et leurs partenaires franchiseurs sont contraints d'inventer des parades pour pouvoir respecter les termes des contrats de franchise comme cela se fait mondialement. Le fait est que la législation des changes restreint le transfert de devises et donc le transfert des royalties dues au franchiseur par le franchisé. C'est là «le cœur du problème», estime l'économiste Camille Sari, car si beaucoup d'importateurs algériens ont recours au marché noir de la devise, «quand on veut passer par le canal officiel, qui est obligatoire dans le cas de la franchise, il y a problème, car le franchiseur n'acceptera pas d'être payé en liquide. Les grandes marques ne veulent pas tremper dans des affaires de contrebande et de marché noir». Parades Ces royalties constituent «le coût du capital expérience» accumulé par le franchiseur et la contrepartie «au droit de l'utilisation de la marque» par le franchisé, indique M. Boukaila. Actuellement, ces royalties peuvent être payées «au cas par cas après examen par la Banque d'Algérie (BA)». Cette dernière «autorise (ou non), selon les dossiers présentés, le rapatriement des montants financiers (droit s d'entrée, redevances,...) dans le pays du franchiseur. En clair, le franchiseur a un risque de voir son bénéfice bloqué en Algérie», explique Laurent Delafontaine, membre du collège des experts de la Fédération française de la franchise. Cette pratique est «contraire au système de la franchise et de la règle de rémunération de la tête de réseau», précise-t-il. Ce processus par lequel doit passer le franchisé peut éventuellement être supporté par de gros entrepreneurs «qui peuvent utiliser leur staff, leur crédibilité auprès de la BA, ainsi que leur relations, mais pour un jeune entrepreneur qui vient de rentrer dans le secteur, cela ne relève pas de sa capacité», explique M. Boukaila. Du coup, certains partenaires se trouvent contraints de transformer leur contrat en contrat de prestation de service et d'assistance technique, qui est lui reconnu par la BA. Selon le PDG de BKL, les jeunes entrepreneurs choisissent, eux, «des solutions détournées, à travers les intrants ou en assurant par exemple la publicité en Algérie pour le compte des franchiseurs». Ce sont ces méthodes qui «rebiffent les grands franchiseurs américains qui ont une grande orthodoxie financière et comptable». Les contraintes liées aux transferts sont lourdes de conséquences pour le consommateur algérien. Selon Jean-Baptiste Gouache, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le commerce organisé et la franchise, «le franchiseur doit alors faire sa marge essentiellement sur le prix de cession des produits » et donc «les prix pour le consommateur s'en trouvent renchéris, conduisant des marques d'entrée de gamme ou de moyen de gamme à un positionnement local haut de gamme». Tremplin Il semble toutefois que la faute n'incombe pas forcément et uniquement à la Banque centrale. Cette dernière a expliqué qu'«aussi longtemps qu'il n'y a pas de loi régissant la franchise, elle ne peut pas agir sauf en donnant des autorisations ponctuelles», précise notre interlocuteur. Aux difficultés de «faire remonter les redevances», s'ajoute, selon M. Delafontaine «le système de baux commerciaux particuliers» et aussi le fait que pour «certaines enseignes luxueuses, les riches clients potentiels achètent hors d'Algérie lors des voyages». Par ailleurs, explique encore M. Delafiontaine, «des retours d'expériences désastreux de franchiseurs mécontents de leur développement comme Quick, Carrefour, ajoutent à la réticence des franchiseurs». Si les pouvoirs publics assimilent encore ce concept à de «l'import-import», M. Boukaila estime pourtant que l'apport de la franchise étrangère peut constituer un tremplin pour le développement d'un concept de franchise nationale, à travers un transfert de «pratique marketing, d'un mode de gestion moderne et de la qualité pour améliorer le service à le clientèle». L'entrepreneur algérien va apprendre «à codifier son savoir et à structurer son travail pour devenir lui-même franchiseur». L'entreprise BKL, que gère M. Boukaila, spécialisée dans la fabrication de fenêtres et de vitrages isolants, a d'ailleurs, développé son propre réseau, «timide», mais constitué de 7 franchises nationales. Pour, M. Boukaila, il ne peut y avoir de développement de franchise nationale sans franchise internationale, car «il y a un apprentissage à faire». Et en dépit des difficultés, les perspectives de développement de ce secteur sont, selon lui, «optimistes», notamment parce qu'il y a en Algérie des consommateurs de plus en plus «exigeants à satisfaire». En tout état de cause, l'intérêt des franchiseurs étrangers existe bien, selon M. Delafontaine, en témoignent les enseignes comme Accor, Yves Rocher, Guy Degrenne... «qui ont franchis le pas». A noter qu'une fédération algérienne de la franchise est en cours de création et dans l'attente de son agrément.