"Le développement industriel des pays méditerranéens du sud n'a pas atteint le niveau attendu ni les objectifs qui lui étaient assignés." C'est là le constat fait par des experts économiques et des chercheurs nationaux et internationaux réunis la semaine dernière à la Bibliothèque nationale d'Alger à l'occasion de la tenue d'un séminaire international organisé par l'Association algérienne pour le développement de la recherche en sciences sociales. Il s'agissait pour les participants à la rencontre dont le thème portait sur "le développement industriel des pays méditerranéens du sud" d'évaluer les résultats de plusieurs décennies d'efforts d'industrialisation et de situer les parcours industriels des différents pays de la région. Selon l'analyse des experts, l'ensemble de la région demeure aujourd'hui sous-industrialisé. Ils en veulent pour preuve le fait que les biens d'équipement, les biens intermédiaires et les biens de consommation industriels sont aujourd'hui largement importés. "Aucun pays n'a atteint un niveau industriel significatif comparable à celui de pays comme la Turquie, la Grèce ou le Portugal dont le démarrage industriel a été tardif", soulignent plusieurs économistes. Faut-il attribuer ce retard industriel à des politiques et des choix économiques industriels erronés, à l'absence de politiques industrielles à long terme ou encore à l'insuffisance des ressources financières ? En tout état de cause, pour ce qui concerne l'Algérie, "l'industrialisation qui apparaissait comme une nécessité absolue pour pouvoir à la fois consolider l'Indépendance et rattraper ensuite les pays évolués a été vite étouffée". Selon Kheireddine Zerhouni, économiste professeur en théorie des organisations et actuellement consultant à l'ISGP, "un problème de contingence politique et environnementale, comme dirait la théorie des organisations, a fait que la restructuration organique des entreprises a engendré un blocage, un étouffement, voire un arrêt de l'industrialisation". Cet état de fait peut être illustré clairement avec le cas du secteur de la pétrochimie. En effet, selon notre économiste, "l'Algérie avait des plans de développement pour ce secteur qui contenaient des dizaines de projets mais le pays n'en a réalisé aucun pour diverses raisons dont la plus importante se rapporte au management des programmes de développement". Notre interlocuteur souligne à ce propos que "l'Algérie n'était pas en mesure de passer des plans de développement à une stratégie bien précise, puis à sa mise en œuvre". Toujours est-il que, selon lui, le bilan du développement industriel algérien dans le domaine de la pétrochimie par exemple montre que "l'industrie pétrochimique en Algérie s'est arrêtée à l'année 1978, date de la réalisation du complexe des matières plastiques de Skikda, qui a été la dernière unité mise en place". Aujourd'hui, "après un quart de siècle d'absence d'industrie pétrochimique, l'Algérie veut relancer ce secteur mais n'a pas pris en considération que l'équation de la pétrochimie a changé", souligne M. Zerhouni. Car, selon lui, le partenaire étranger ne viendra pas investir dans ce secteur, comme dans d'autres d'ailleurs, "s'il n'est pas complètement intéressé à faire des bénéfices et à faire de la pétrochimie en Algérie, et non pas de la pétrochimie algérienne". Le partenariat étranger n'est-il donc pas en mesure d'apporter quelque chose en matière de politique industrielle ? De l'avis de notre interlocuteur, "s'il s'agit de simple délocalisation classique au lieu d'un véritable partenariat stratégique, ce ne serait alors qu'une solution paresseuse. Ce ne serait pas très original comme mise en œuvre d'une doctrine ou d'une stratégie", avoue-t-il. Cependant, la question que se pose un certain nombre d'observateurs, c'est celle de savoir si réellement l'Algérie peut redémarrer une politique industrielle. Aujourd'hui, "avec cette mondialisation et cette ouverture qui prévaut sur les économies du monde, des voix s'élèvent pour dire que n'avons plus besoin de politique industrielle puisque cela suppose une implication de l'Etat pour mener à bien un certain nombre d'objectifs, alors qu'avec la globalisation et le néolibéralisme, c'est le marché qui doit organiser tout, y compris les politiques industrielles", souligne le professeur. Le marché, "agent efficace de l'allocation des ressources", peut-il réellement se substituer à la volonté politique de promouvoir les activités industrielles, aux fonctions d'incitation, de coordination, indispensables au déroulement d'un processus sur le long terme adapté à l'évolution technologique et économique ? En tout cas, convaincu du contraire, ce dernier pense qu'une telle théorie ne tient pas la route en ce sens que "l'industrialisation peut être considérée comme le résultat d'une stratégie et que si nous ne possédons pas une stratégie, nous ne pouvons qu'appliquer la stratégie des autres". Il estime aussi que "le choix stratégique appelé TNA (there is no alternative) qui prône l'insertion dans la mondialisation" est également inadapté, en ce sens que beaucoup de pays ont réussi à appliquer leur propre politique industrielle sur le modèle qui leur convient. Y a-t-il donc un modèle à suivre pour réussir une politique industrielle ? Selon M. Zerhouni, il n'y a pas un "one best way", encore moins un "modèle tout prêt". Toutefois, selon notre interlocuteur toujours, "il existe des démarches que toute politique doit nécessairement suivre". Il s'agit de ce qui est appelé "la GSDI - gestion stratégique du développement industriel", qui a été promue par l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI). Cette gestion consiste, entre autres, à promouvoir "la planification concertée" qui a pour objectif "de réunir tous les acteurs impliqués directement ou indirectement dans le lancement et la réalisation des projets". C'est la raison pour laquelle, pense notre interlocuteur, "l'Algérie devrait se doter d'une réelle volonté politique à même de tracer une politique industrielle explicite pour qu'il y ait visibilité et que les citoyens puissent adhérer aux projets proposés. C'est aussi une question de démocratie économique". Tous les pays avancés, en effet, ont eu à appliquer, sous des formes diverses, des politiques industrielles appuyées, entre autres, sur des programmes, des choix technologiques, une recherche scientifique et des systèmes d'éducation et de formation. Cependant, de l'avais de beaucoup d'économistes, la volonté politique ne suffit pas, en ce sens qu'"il faut encore construire la capacité à définir et à conduire des politiques industrielles". "Le contexte de l'OMC impose de nouvelles contraintes aux industries naissantes, contextes qui font la part belle aux grandes firmes internationales détentrices de marchés, de capitaux et de technologie", concluent-ils.