Cinq ans, j'ai vécu cinq ans sans papiers en France. A Villetaneuse, plus précisément. Cela a été 5 années pleines. Dures, émouvantes et instructives. 29 décembre 1999-26 décembre 2005. J'ai quitté mon village natal, Agouni Bouragh, juste après le ramadhan. J'ai eu un visa d'un mois et je suis resté cinq ans. En Seine-Saint-Denis, j'avais fait ma vie. Dans la douleur. Mon premier boulot consistait à accompagner un vendeur de glace. J'étais payé 7 euros par jour. C'est très peu, je sais. Mais je me disais que j'allais me faire des connaissances et que cela était une porte vers un meilleur travail. Je ne dis jamais emploi. Mon second boulot est plus original. Je creusais à longueur de journée une piscine à un riche kabyle, propriétaire de nombreux restaurants. Pour me surveiller, le patron lâchait ses chiens dans la cour de 8 heures à 19 heures. Impossible de sortir sans passer devant les chiens. Très méchants, les clebs. Saloperies de chiens, ils aboyaient tout le temps. Une fois le chantier fini, le maudit kabyle a refusé de me payer ! Je n'avais aucun recours. Il savait que j'étais sans papiers. J'ai essayé à plusieurs reprises de le coincer dans un de ses restaurants. En vain. Je n'ai toujours pas été payé. Il paraît qu'il vient d'acheter une Mercedes dernier cri. Après, j'ai trouvé du boulot dans un marché. Je m'occupais d'un stand de textiles. C'est fatigant mais bien payé relativement. 60 euros par jour. Levé à 5 h, rentré vers 22 h. Physiquement, c'était pénible. Mais bon, je ne vais pas me plaindre. C'est moi qui ai voulu m'installer en France. Je connaissais les conditions. Je voulais améliorer ma situation. J'avais 35 ans quand j'ai quitté l'Algérie. employé à l'Université de Tizi Ouzou. J'étais payé 4500 da par moi et tout mon argent passait dans les transports. C'est entre Larbaâ Nath Irathen et Tizi Ouzou que mon argent filait, au bruit des fourgons. Je n'ai jamais réussi à boucler un mois. Je ne parle pas d'économies, même dans le rêve. Un horizon bouché. Par un concours de circonstances qui m'échappent, le consulat de France m'a délivré un visa. Je n'en croyais pas mes yeux. Surtout que les copains, plus solvables et ayant des attaches en France ont essuyé un refus catégorique. En France donc, j'ai appris à vivre, à dire « je ». Dans les moments difficiles, je me réfugie dans l'alcool avec des amis. Cela donne des soirées très arrosées et des comportements délirants. Une fois, sur les boulevards de Saint-Denis, on marchait ou plutôt titubait en groupe en chantant viva l'Algérie, tahya El Djazaïr. Franchement, c'était risible, pitoyable. Marrant. Il a fallu que je sois en France pour que dise ce genre de choses. Pour ma défense, je n'étais pas seul. Je me suis fait des amis, commencé une nouvelle vie. Seulement, difficile d'oublier les fameux papiers. Au moindre contrôle policier, je tremble. Je me vois dans l'avion. Embarqué de force. J'ai failli me fiancer de nombreuses fois. Je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas fait. Quand je déprime, je me dis : Rouget, encore une semaine, encore un virage et tout s'arrangera. C'est comme ça que j'ai tenu cinq ans. Puis, mon père est tombé malade. Je ne pouvais pas rester en France en le sachant très malade. Donc, j'ai pris mes affaires et direction Orly. A l'aéroport, les policiers n'en croyaient pas leurs yeux. Ils m'ont demandé si je travaillais en France, si j'ai fait ma vie, si j'étais bien. J'ai répondu trois fois oui. Alors, ils insistaient pour savoir pourquoi je voulais retourner en Algérie. Ils m'ont pris pour fou, limite s'ils ne m'ont pas dit de retourner chez moi, à Villetaneuse. Pour régulariser ma situation administrative, les policiers ont exigé 160 euros, mais je n'avais que 140 euros sur moi. J'ai payé l'amende. Au village, mes amis aussi étaient surpris de mon retour. Aujourd'hui, mon père s'est rétabli. Je travaille dans une entreprise de bâtiment. Et je rêve de repartir en France. Car ma vie est là-bas.